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NOTES D’UNE INFIRMIÈRE À MOUDROS

jour avec les mouches… Surtout les pauvres grands malades ! Il fallait voir toutes ces mouches qui leur entraient dans la bouche et qui sortaient en masse, tout en bourdonnant, lorsqu’on les en chassait. Leurs yeux en étaient tout remplis. Les typhiques détenaient le record. On avait beau mettre des moustiquaires, cela n’y faisait rien. Allez donc lutter contre une pareille invasion ! Il n’y fallait point songer… Voyez-vous, lorsque vous vous trouverez à plaindre, songez quelquefois à ces pauvres petits soldats français qui, en Orient, ont souffert plus que n’importe lequel d’entre nos combattans.

Ajoutez à cela une pénurie d’eau absolue. Et encore nous étions au mois d’août, à une époque où tout déjà s’était amélioré

! Mais, deux mois auparavant, on était resté trois jours sans faire de soupe, et les malades tendaient leur quart dans un geste désespéré…

Nous avions quinze cents à dix-huit cents malades. Ni les médecins, ni les intirmiers ne marchandaient leur peine. Ah ! les beaux dévouemens que j’ai vus là ! Tout le monde s’aimait. Tout le monde se soutenait. Et si quelquefois on prenait un air un peu plus fataliste, c’était qu’une grande pitié vous serrait le cœur et qu’aussi on sentait un sanglot, tout prêt à éclater…

Notre hôpital, malgré sa misère, était encore le mieux installé de tous. Les Anglais eux-mêmes n’en revenaient pas. Et pourtant, si vous étiez entré sous un de nos marabouts, vous auriez vu, sur ces paillasses défoncées, salies, des tas d’hommes qui grelottaient la mort…

Notre camp avait certainement le meilleur emplacement de toute l’île. Il était immense. Celui des prisonniers turcs lui faisait suite. Puis venait le camp des zouaves. Nous étions perchés au flanc d’une colline et nous avions toute la rade à nos pieds. D’autres camps se perdaient dans le lointain, en face de nous. Toujours des marabouts, si délicatement posés qu’ils semblaient de grands pétales de fleurs !

Le soir, le vent est tombé ; un beau coucher de soleil nous souhaite la bienvenue. Un de ces crépuscules qu’on ne peut pas décrire. Le ciel, je ne l’avais jamais vu aussi beau. Les étoiles apparaissaient une à une, à peine distinctes d’abord, pendant que la mer devenait d’un bleu intense et que de grandes lames roses se promenaient sur l’ensemble… C’était, avec