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destruction, seul capable de briser les lignes reformées à chaque étape, étant nécessairement constitué par de l’artillerie lourde, ne pouvait avancer qu’au pas de l’artillerie lourde : c’était insuffisant pour jeter le trouble dans une armée se retirant en ordre et pour profiter de la victoire.

Dans le cas où les armes sont égales, ou à peu près, le résultat doit être moins décisif encore. On n’a plus affaire à un cordon sans épaisseur, mais à un tissu de tranchées et de batteries, étendu sur plusieurs lieues de profondeur, et qui se reconstitue par l’arrière à mesure qu’on l’entame par sa surface extérieure. Si l’on y enfonce, c’est comme dans un édredon. Il faudrait, pour le trancher net, une soudaineté d’irruption incompatible avec les efforts à déployer.

Tout au plus y fait-on hernie. Tel est le cas des Allemands à Saint-Mihiel. On constitue alors un saillant plus difficile à maintenir, plus dangereux en général qu’avantageux pour celui qui l’a poussé en avant. Il y est exposé à une pression sur les flancs, à un étranglement à la gorge qui peuvent lui coûter cher ; si bien qu’on aura peut-être avantage, en certains cas, à laisser un adversaire imprudent s’avancer dans l’épaisseur de nos lignes comme entre les branches d’un étau.

Voilà donc la lutte immobilisée, puisqu’un succès local, si caractérisé soit-il, ne produit dans les fronts qu’une déformation locale aussi. Les moyens suffisans pour forcer un parti sur toute leur longueur dépassent la capacité industrielle des belligérans. Et l’on se bat sur place, jusqu’à épuisement du moins endurant. La lutte est un compte non de profits, car on ne gagne rien de substantiel, mais de pertes. Celui qui est obligé d’attaquer est condamné d’avance, car ses dépenses sont supérieures à celles du défenseur ; il perd plus d’argent, de matériel et de sang.

De là l’influence du blocus. Elle grandit à mesure que la guerre se transforme, à mesure qu’elle consomme davantage pour de moindres avances sur le terrain. Non seulement il faut rester maître de commercer par mer, mais c’est désormais une nécessité vitale que de développer au plus près des armées, sur le territoire même des principaux belligérans, une puissance industrielle de premier ordre et par conséquent d’y pouvoir disposer des matières premières et du personnel qualifié. Le sort de la Russie après Gorlice en est l’illustration frappante. On ne