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que nous allons demander quelle idée on peut maintenant se faire, après les dernières recherches et les plus récentes découvertes, de celui qui fut à la fois le bourgeois de Stratford et le plus grand poète de son pays.


IV

Entre l’un et l’autre, il ne subsiste aucune contradiction ; et nous voyons se résoudre ainsi, très simplement et très élégamment, la question shakspearienne en même temps que le prétendu antagonisme d’où elle était née.

Tout d’abord, le père de William Shakspeare n’est pas le rustre assez misérable qu’on s’est plu à représenter. Etabli à Stratford vers 1551, dans le commerce des produits agricoles et probablement la petite industrie locale qui s’y rattachait, il devient très vite propriétaire, se marie avec la fille d’un fermier aisé du voisinage et remplit successivement toutes les charges municipales : conseiller, officier de police, trésorier, alderman et bailli. A partir de 1567, les archives du Conseil le désignent sous l’honorable appellation de « Mr. Shakspeare. » Après quelque vingt-cinq ans de prospérité, sa situation, il est vrai, déclina et devint fort précaire, pour ne se relever qu’avec la fortune de son fils. Mais il n’avait certes pas perdu l’estime de ses concitoyens, car il était encore, quelques mois avant sa mort, en 1601, écouté par le Conseil municipal dans la conduite d’un procès que le seigneur, sir Edward Greville, intentait au bailli et aux bourgeois.

De même, l’école de Stratford n’est pas la misérable école primaire de village où il eût été impossible à un enfant d’ébaucher une culture classique. Les études littéraires étaient alors en grande faveur et l’Angleterre des Tudors manifestait un zèle sans précédent à l’égard de l’éducation. Aux seize « écoles de grammaire » existant à l’avènement de Henri VII, il s’en était ajouté seize nouvelles sous le règne de ce prince, soixante-trois sous Henri VIII, cinquante sous Edouard VI, dix-neuf sous la reine Marie, et l’augmentation durant le règne d’Elisabeth allait être de cent trente-huit. Nous savons qu’il y avait à Stratford une de ces grammar schools, fondée au XVIe siècle et réorganisée en 1553, que les enfans y entraient d’ordinaire vers l’âge de huit ans, qu’ils y étaient mis tout de suite au « rudiment, »