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Rutland, se rendant à Padoue. Puis viennent les Deux gentilshommes de Vérone. La scène de la Comédie des Méprises est à Paris et à Padoue. Détail plus significatif encore : dans la première version de la Mégère apprivoisée, elle se trouvait à Athènes ; une révision la transporte à Padoue. Et la scène des pièces suivantes est dans les seules villes qu’ait habitées Rutland, au Nord-Est de l’Italie, en Vénétie.

En 1538, Rutland revient en Angleterre ; il est nommé intendant de la forêt de Sherwood, et le Songe d’une Nuit d’été évoque aussitôt ses personnages de féerie dans le décor enchanté des bois. Quant à Richard II et Jules César, remplis d’allusions tout ensemble admiratives et blessantes à l’adresse de la reine Elisabeth, ils contribuent à préparer la conjuration d’Essex (1601) dans laquelle se trouve entraîné Rutland. Le premier Hamlet (1602) correspond à sa captivité au château d’Uffington. Le second Hamlet (1604), partiellement refondu, est tout enveloppé d’une atmosphère danoise qu’on ne respire pas dans le premier ; et cette différence s’explique quand on sait que Rutland fut chargé par son souverain d’une ambassade extraordinaire au Danemark en 1603 et reçu au château d’EIseneur.

Dès l’avènement de Jacques Ier, on le voit, Rutland, — comme les autres conjurés, — avait retrouvé la faveur royale. Macbeth, en 1606, apparaît alors comme le plus délicat et le plus habile hommage au descendant de Banquo qui ajoute à la couronne d’Ecosse celles d’Angleterre et d’Irlande. Dans Cymbeline et le Conte d’hiver reparaît l’amour des forêts après la nomination de Rutland au poste d’intendant de Birckwood Park, de Grantham et de Mansfield. Certains traits de la Tempête rappellent le bref séjour de Rutland aux Açores. Cette pièce, qui est le testament du poète, correspond à la retraite de son prête-nom. William Shakspeare n’a plus rien à faire au théâtre et il ne survit plus que comme un bourgeois de Stratford à l’auteur des pièces, mort aussitôt après son chant du cygne, au mois de juin 1612.

Quand M. Demblon examine ensuite le détail de l’œuvre, il découvre que le monde des comédies est celui de Rutland, qu’il n’est pas et ne peut pas être celui de Shaskspeare. C’est d’abord Rutland lui-même qui s’est peint, — nous y avons fait allusion déjà, — sous les traits de Biron et de Valentin, de Bassanio et de Benedict, de Jacques et de Prospero. Sa jeune femme, Elisabeth