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JULIE.

Bernardine ? Je monte chez les enfans le lui demander. Elle l’embrasse encore.) Avant que je ne m’en aille, répète que tu m’aimes.

VAUCROIX.

Si je t’aime !

JULIE.

Et que tu viendras à Biarritz ?

VAUCROIX.

J’y viendrai. (Elle sort.)

SCÈNE SIXIÈME
VAUCROIX, seul. Il va et vient à travers la chambre, en se parlant à lui-même.

Elle m’a repris. C’est fait. Je vais recommencer à mentir. — Mensonge à ma femme, — mensonge au mari, — mensonge à elle. Ce que j’ai pour elle maintenant, je l’ai trop éprouvé tout à l’heure, ce n’est plus que le dur et méchant désir. Ces anciennes heures, dont elle parle, sont mortes. Nous ne les retrouverons pas. Elle me forcera de dire avec elle que c’est toujours le même bonheur, et ce ne peut plus être le même bonheur... Comment le lui faire comprendre ? On dirait que, vraiment, pour elle, il n’y a pas eu, qu’il n’y a pas de guerre... Comme c’est pauvre, pourtant, ces passions qui ne sont que de l’égoïsme émotif ! Ah ! que je devrais rompre !... Et puis, quand elle est là, un sortilège émane d’elle, de sa voix, de son regard, de ses mouvemens... Rompre, et pour retomber dans quel néant ! Ma femme ne m’aime pas. Elle n’a jamais aimé que le devoir, et, moi, je ne pourrai jamais résoudre ma vie par le seul devoir. Mon besoin de sentir est encore trop aigu, trop fort... Hé bien ! il faut s’accepter soi-même. C’est étrange. J’ai tant désiré guérir de ma blessure ! Tant désiré rentrer à Paris ! Et que ne donnerais-je pas maintenant pour être là-bas, à Spandau, prisonnier, ou bien en train de souffrir sur mon lit d’hôpital ? Alors, je m’estimais. Au lieu qu’aujourd’hui... Dieu, quelle faiblesse ! Quelle veulerie ! Mais où trouver de la force,