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la charge. Ah ! si tu les avais vus partir, mes pauvres petits, la baïonnette haute, bien en ligne. Avant le choc, les Boches avaient tourné, au cri. Nous avons enlevé la tranchée, le boyau, l’autre tranchée, poussant les affreuses bêtes vertes devant nous. Combien survivent de ces héros, après plus d’un an de batailles pareilles, tous les jours ?... C’est à eux que je pensais dans mon hôpital... (Julie lui prend la main et l’embrasse.) Mais qu’as-tu ?

JULIE.

J’ai que je tremble à l’idée de toutes ces horreurs et, en même temps, je t’admire. Comme tu es brave, et que je suis fière de toi !

VAUCROIX.

Tu ne seras donc jamais qu’une amoureuse.

JULIE.

Tu t’en plains ?

VAUCROIX.

Non, mais je voudrais...

JULIE. Elle lui met la main sur la bouche.

Tu voudrais... Tu voudrais... Tais-toi. Laisse-moi être ce que je suis, obéir à ma nature, vivre ma vie. Tu le pensais aussi autrefois, que chacun a le droit de vivre sa vie.

VAUCROIX.

Plus quand il y a tant de gens qui donnent la leur.

JULIE.

Ils ne la donnent pas. On la leur prend. S’ils l’avaient pu, crois-tu que ces soldats qui marchaient à l’assaut avec toi n’auraient pas préféré de beaucoup être dans leur maison avec leur femme, leur fiancée, leur maîtresse ?... Ah ! s’il n’y avait pas les conseils de guerre !

VAUCROIX, vivement.

Non, Julie. C’est bien d’eux-mêmes qu’ils vont au feu, et pour qui ? Pour nous, pour toi, mais pas seulement pour que tu