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avec le mystère de notre intimité, de notre bonheur, et tout ce grand Paris autour !

VAUCROIX.

Tu serais peut-être bien déçue.

JULIE.

Pourquoi ?

VAUCROIX.

Parce que nous avions l’âme légère, alors, et maintenant, nous y porterions un poids sur notre cœur... ce poids de tant de misères. Nous n’aurions qu’à nous rappeler, moi, mon hôpital d’Allemagne, toi, le tien à Biarritz.

JULIE.

Du moment que tu serais là, je ne me le rappellerais pas. Je n’y ai jamais vu que toi.

VAUCROIX.

Que moi ?

JULIE.

Mais oui. Je ne me suis faite infirmière qu’à cause de toi, pour tromper un peu mon anxiété. Si je n’avais pas eu à m’occuper, je serais devenue folle. Et puis j’éprouvais une espèce de douceur navrée à soigner qui je pouvais, ne pouvant pas te soigner, toi. Dans toutes les plaies, je ne voyais que ta blessure. Des gens m’ont parlé de mon dévouement. Mais c’était mon immense pitié pour toi, la tendresse de ma passion, et je pensais que je te le dirais un jour.

VAUCROIX.

Tes blessés pourtant, tu en avais aussi pitié.

JULIE.

Je ne sais pas. Je crois bien que, sans ta pensée, le dégoût l’aurait emporté. Ces dents sales, ces cheveux sales, cette odeur de sueur, toute cette basse vie animale aussi étalée que si l’on était parmi des marmots dans une pouponnière, quelle horreur ! Tu sais bien que j’ai toujours détesté le pouponnage. Sans doute parce que je n’ai pas eu d’enfans... Oh ! je continuais