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tes idées. La guerre a passé là-dessus. Elle ne t’a pas changé ?

LABRUNIE.

Ça dépend du sens que tu attaches au mot. Enfant, vous me plaisantiez sur ma passion de l’armée. C’est que d’instinct d’abord, puis par réflexion, j’ai trouvé que le meilleur emploi de la vie était de servir. Je pensais cela, avant la guerre, je dirai presque : légèrement, joyeusement. Je le pense aujourd’hui plus gravement, tragiquement. Mais c’est bien la même pensée, la même foi.

VAUCROIX.

Que je t’envie ! Moi, avant la guerre, servir était le dernier de mes soucis. Nous nous sommes trop peu vus entre le lycée et la tranchée pour que nous ayons jamais causé à fond, comme maintenant. Tu n’as connu de ma vie que ses dehors. Ils sont très bourgeois. Un père grand industriel qui meurt en laissant une grosse affaire. Un fils qui liquide cette affaire à sa majorité, pour vivre tranquillement avec ses cent mille livres de rente. Une mère qui veut que ce fils soit occupé, mais dans une carrière décorative et sans surcharge. Elle le dirige vers la diplomatie. Ce fils se laisse faire. Il se laisse marier, toujours sous l’influence de la mère. Cette mère meurt à son tour, emportant avec elle tous les motifs que ce fils avait eus d’arranger sa vie de cette façon. Il n’aime pas son métier. Il démissionne. Il n’aime pas sa femme, mais, comme il a deux enfans, il patiente et il s’ennuie !...

LABRUNIE.

Connu. C’est le cafard des civils. Alors, pour se désennuyer, on prend une bonne amie. On trouve ça très agréable pendant quelque temps. Puis, quand on veut la mener perdre, elle se rebiffe, et l’on est sorti de l’ennui pour tomber dans les embêtemens. C’est le vrai fond de ton histoire, hein ?

VAUCROIX.

Pas précisément. Le jour où je dirai à ma maîtresse : « Je ne vous aime plus, » je suis persuadé, entends-tu, qu’elle n’aura pas une plainte, pas un reproche, et moi, pas le plus petit incident désagréable dans mon existence.