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accompli : la puissance de la machine en question est de quinze chevaux-vapeurs, 45 H. P. comme on écrit maintenant dans la terminologie abréviative que cette guerre a généralisée au point de faire de certains documens militaires des hiéroglyphes dignes de tenter un Champollion. Le poids de l’appareil est de 2 300 kilos ; la vitesse moyenne de la charrue remorquée, de 4 à 5 kilomètres à l’heure ; le temps d’un virage inférieur à une minute ; la surface pratiquement labourée par heure près de 1 500 mètres carrés, correspondant à une consommation d’environ 6 kilos d’essence par heure ou d’environ 45 kilos par hectare.

Ces essais prouvent en tout cas que le labourage est devenu un problème presque plus industriel qu’agricole. Voltaire en avait comme une prescience, lorsqu’il écrivait : « La culture de la terre est une vraie manufacture. »


Il faut que les raisons cessent qui ont empêché, ces dernières années, la motoculture de se généraliser chez nous. Il faut que des mesures soient prises à cet effet. Il le faut, parce que la situation agricole qui, avant la guerre, n’était qu’inquiétante, est sur le point de devenir tragique. Il ne s’agit plus maintenant d’obtenir, comme hier, que les rendemens agricoles soient améliorés, et que les ouvriers des champs daignent ne pas se laisser tenter trop par la ville : il s’agit d’obtenir que ces rendemens ne tendent pas à devenir nuls, et de remplacer les ouvriers qui n’iront pas à la ville, mais qui ne reviendront pas non plus aux champs, car ils sont morts ou mourront demain pour la France.

Déjà, je l’ai dit, nous avons dû, dans la première année de guerre, importer pour environ 300 millions de blés étrangers, et pour des dizaines et des dizaines de millions d’autres produits agricoles. Que sera-ce pour la seconde année de guerre ? Nos campagnes, en effet, sont vides des travailleurs valides, hommes et bêtes qui les peuplaient. Les jeunes sont mobilisés ; les appels des classes anciennes, les visites médicales des auxiliaires, sont de plus en plus nombreux et stricts. Ceux qui restent aux champs sont trop débiles pour suffire a la besogne avec la femme et les vieux.

L’agriculture ne manque plus seulement de bras ; elle manque de jambes ; car les animaux de trait, s’ils avaient quelque valeur, ont été presque tous réquisitionnés par l’armée. Beaucoup non entraînés à la guerre sont morts et ne reviendront pas au village, dans l’écurie