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même pas la première lettre du Prince à sa mère, et, comme il est influent, on cherche à le gagner. Mais à quoi bon ? tout n’est-il pas fini !.., Enfin, M. Schönlein est arrivé, et, après avoir conféré tous les quatre, ils sont montés chez la Reine, puis ils sont revenus conférer encore... Mon sang s’arrêtait, dans cette cruelle perplexité... Je suis entrée chez la Reine avec un visage riant. Elle m’a dit qu’on ne lui faisait pas l’opération et je m’en suis réjouie avec elle. Elle a écrit à son fils pour le rassurer. Elle m’a donné sa lettre pour la faire partir. J’ai mis sous le cachet : Revenez, revenez ! et je l’ai bien vite envoyée à M. Aman... J’ai veillé la Reine ; elle a bien souffert et a pourtant mieux dormi que les autres nuits.

Ce matin, M. Conneau est venu causer avec nous. Il est le plus malheureux parce qu’il est le plus responsable. Lisfranc a trouvé l’opération impossible et ne lui donne pas sept mois de vie. Sauter dit qu’en suivant ses avis, on pourrait peut-être la conserver un an ou deux. Schönlein était d’avis de l’opération, mais, Lisfranc ne voulant pas la tenter, personne au monde n’aurait osé la faire... Mme Salvage dit que le testament de la Reine est fait et qu’elle l’a nommée son exécutrice testamentaire. Elle lui a montré une lettre de Mme Récamier faisant son testament, lui confiant tous ses intérêts et l’engageant par réciprocité à faire le sien et à lui donner la même marque de confiance... Elle a dit à la Reine y être décidée et vouloir, par ce testament, donner sa fortune au Prince. La Reine, en acceptant une pareille preuve de son affection, n’a pu hésiter à faire ce qu’on lui demandait, et l’a nommée son exécutrice testamentaire. Tous ces soins me paraissent bien prématurés et bien cruels. Je me désole en pensant que les efforts de courage qu’elle a faits, pour se décider à cette opération et s’y préparer, ont pu aussi hâter le mal ! Mais Conneau dit qu’il date de plusieurs années et que cet anneau d’or qu’elle portait, et dont elle n’a jamais parlé à personne, est la première cause de son mal, que l’on eût pourtant été à temps de guérir, il y a cinq ou six mois. — Si elle avait vu un médecin à Paris, elle était sauvée ; et ils ne lui en ont pas laissé le temps ; ils l’ont tuée... et, si on lui eût dit que son fils allait au Brésil avant New-York, elle ne serait pas morte d’angoisses pendant quatre mois. M. de Briqueville lui a écrit hier pour lui assurer que le Prince allait à New-York, M. Buchon a écrit la même chose à M. Cottrau