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Il y a là de la recherche, et de la trouvaille. Il y a là, de la préciosité : M. Benjamin travaille le nez de Gaspard comme un poète du temps de Louis XIII les yeux de Chloris ; et un réaliste de prix Goncourt n’ose pas être simple autant que la réalité. Mais il y a encore de la simplicité dans ces colifichets de littérature abondamment truculente. Et Gaspard, avec toute la fanfaronnade gaie de son vocabulaire, avec ses manières délurées, a une bonhomie souvent délicieuse. Bonhomie et bonté, voilà le fond de sa nature, sous les ornemens de gloriole. Il fait le malin ; mais il est malin, débrouillard ; il s’adapte vite aux conditions héroïques de la vie, et de la mort. Il grogne ; mais il est un grognard. Fût-ce à la guerre, il reste gentiment ce qu’il était, « Parigot de Pantruche, » et marchand d’escargots rue de la Gaîté, mais soldat, et qui ne barguigne pas avec la besogne de sauver la France.


Par amour de la simple vérité, M. René Bazin n’est pas un réaliste. Il emploie peu de mots ; il veille à ne pas dire plus qu’il n’a vu, à ne pas dire tout ce qu’il a vu. Après avoir regardé la nature et avant de la peindre, il a fermé les yeux et il a laissé l’image prendre ses lignes de repos : il copiera l’image reposée. Il n’est pas un impressionniste et il se méfie des hasards d’un premier aspect. Les impressionnistes guettent la bizarrerie ; et M. Bazin la redoute. Il aime la continuité, la durée. Les paysages ne lui masquent pas la nature. Et, de même, les anecdotes ne lui masquent pas l’humanité ; ni l’humanité ne lui masque l’éternité. Ses paysages, ses anecdotes, ses méditations, qu’il n’improvise pas, mais qu’il a, pour ainsi dire, accoutumés à vivre ensemble, forment une harmonie, et qui est l’harmonie de sa pensée. Il y a, dans ses Récits du temps de la guerre, beaucoup d’émoi, de la pitié, des larmes et une espérance frémissante ; il y a aussi, dans ces épisodes inopinés, quelque chose de difficile à définir et qui ressemble à l’habitude, la sérénité d’une âme que l’accident n’a point surprise et qui était préparée, je suppose. Et c’est le charme persuasif de ce volume ; c’en est peut-être l’enseignement... Pointeur de la première pièce à la première batterie, Archambaut ne parle guère. On ne le connaît pas ; on devine qu’il est campagnard et qu’il a du bien. Mais, à la guerre, il est pointeur et le reste n’importe pas. Un jour, lui qui a d’ordinaire le teint vif, ses joues sont pâles, blanches. La batterie s’apprête à bombarder un village. Archambaut, qui est de la région, sait évaluer la distance : — « A 2 500, mon capitaine ! » Et, dans ce village, n s’agit de démolir un état-major allemand... « Alors, mon capitaine... » Et Archambaut n’hésite pas ; c’est sa parole seulement