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dont les murs en ruines apparaissent au milieu des arbres. Les collines fauves sont marbrées de ces sombres sapinières aux formes géométriques, que les artilleurs ont baptisées au gré de leur fantaisie. Quand l’observateur doit régler le tir de nos batteries, on l’entend, dans le téléphone, donner comme points de repère : « A trois millièmes à droite du Petit Torpilleur, » ou : « A cinq millièmes à gauche de la dernière dent du Crocodile. »

Ces bois constituent les réduits de la résistance de l’ennemi. A l’aide des jumelles on peut, dès qu’il y a un rayon de soleil, distinguer les épais réseaux de fil de fer qui scintillent entre les arbres. Ces bois sont également les nœuds de communication de la grande ville souterraine qui se construit devant nous. Sous les sapins on aperçoit des parapets de sacs à terre, parfois de véritables blockhaus, nids de mitrailleuses et de canons-revolvers. De là rayonnent les lignes blanches des tranchées ouvertes dans la craie. Ce sont celles-ci que nous avons pour mission de surveiller. Presque chaque nuit poussent comme des champignons de nouvelles excroissances de terre blanche ou brune. Il faut les étudier à la jumelle, noter l’apparition d’un périscope ou d’une plaque de blindage qui peut révéler la présence d’une mitrailleuse. Ces indices, reportés sur les cartes, rendent compte de la disposition générale du système de défense de l’ennemi, et permettent à notre artillerie de détruire les blockhaus et les observatoires les plus gênans.

Aujourd’hui, rien à signaler, sauf quelques niches qui viennent d’être creusées dans le talus du chemin de la cote Z. Peut-être des observatoires. Mais l’éclairage n’est pas favorable ; nous les verrons mieux demain. Pour le moment, nous allons nous assurer des travaux qui viennent d’être exécutés dans nos propres lignes. Nous descendons l’échelle, l’escalier en ruines, et sortons de la ferme par un boyau qui se dirige vers nos premières tranchées. Voici, à gauche, une meule sur laquelle une échelle et quelques bottes de paille adroitement placées ont suffi pour faire un observatoire de fortune, dont nous nous servons quelquefois. Un peu plus loin, on vient de creuser un nouveau poste d’écoute, au sommet d’une pente » d’où, par-dessus la route d’A..., on domine les tranchées allemandes du Bois en Potence. Nous nous y rendons, mais, bien que nous ayons soin d’enlever nos képis, à peine avons-nous