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DE CHAMPAGNE EN ARTOIS
JOURNAL DE MARCHE


I

7 octobre 1914. — Notre deuxième nuit de voyage touche à sa fin. Le jour commence à filtrer par les interstices du fourgon dans lequel je suis étendu sur une botte de paille, entre mes deux compagnons, le lieutenant P..., de mon régiment, le ...e chasseurs, et le lieutenant G..., du ...e régiment d’infanterie. Bercé par le roulement monotone des essieux, je rêve à la nouvelle existence qui s’ouvre devant moi. Avant-hier encore, je me trouvais au quartier de cavalerie, dans la petite ville normande, où la mobilisation m’avait appelé. C’est là que, dans les premiers jours du torride mois d’août, j’ai eu à remplir le rôle ingrat de recevoir les convois de chevaux de réquisition, de les classer, de leur trouver des harnachemens, d’équiper les réservistes, de les grouper par pelotons, et de diriger leur instruction sur le terrain de manœuvres. Mais les unités, à peine constituées, se désagrégeaient aussitôt. Le régiment déjà parti pour le front réclamait d’abord les chevaux, dont les premières semaines de la campagne faisaient une terrible consommation. Ainsi réduits au rôle piteux de cavaliers sans montures, nous voyions encore partir la plupart de nos hommes, appelés à des escortes ou des services d’étapes divers. On ne demandait pas d’officiers, et nous nous rongions d’impatience. Du buffet de la gare où nous prenions nos repas, nous suivions l’angoissant défilé des trains qui emmenaient vers l’Ouest les dépôts des régimens du Nord. C’est par eux que nous apprenions