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chaque Français transportait annuellement, pour le charme ou la commodité de sa vie, pour mieux vendre ses produits ou acheter à meilleur compte ceux d’autrui, treize cent mille kilos à un kilomètre ou treize mille kilos à cent kilomètres. Quand je dis qu’il les transportait, j’entends qu’il les faisait transporter ou, plutôt, qu’on les transportait pour lui.

Telle était, rapportée à nos 39 millions de concitoyens, quelque modeste que fût leur rang dans l’échelle sociale, la part moyenne qui revenait à chacun d’eux dans le volume et le poids gigantesque des 50 milliards de tonnes kilométriques déplacées chaque année à leur intention par les voies ferrées, fluviales ou maritimes, sans parler du mouvement de nos routes terrestres dont il n’existe aucune statistique. Ce mouvement global de 50 milliards de tonnes, chargées, déchargées, voiturées par ou pour nous se décomposait : en 180 millions de tonnes effectuant Sur nos chemins de fer un parcours de 435 kilomètres, 35 millions de tonnes accomplissant sur les canaux et rivières un trajet de 156 kilomètres et 40 millions de tonnes importées ou exportées par mer d’une distance que, pour être sûr de rester au-dessous de la vérité, l’on peut chiffrer à 500 kilomètres en moyenne, puisqu’elles venaient en égale quantité d’Angleterre et d’Amérique, faisant tantôt 30 kilomètres et tantôt 7 000.

Il peut sembler extraordinaire et même invraisemblable que, pareil à M. Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, chaque Français déplaçât inconsciemment, envoyât ou apportât chaque année d’une distance moyenne de 200 kilomètres, 6 500 kilos par terre ou par eau. Cependant si l’on regarde vivre, dans le premier semestre de 1914, je ne dis pas les riches et les bourgeois, mais le plus simple paysan dans son village, on ne s’étonnera plus que, pour faire vivre comme elle vivait alors la famille qui occupait cette maisonnette, il fallût mouvoir et véhiculer un pareil poids.

Presque tout ce qu’elle consommait venait de loin et les choses mêmes qu’elle produisait sur place, comme les grains ou le bois, pour qu’elles n’enchérissent pas à l’excès, pour que le pain blanc de sa table et la bûche de son foyer ne devinssent pas, en se faisant rares, des objets de luxe qui lui échapperaient, devaient être multipliés par des apports lointains dans l’intérêt de cette famille paysanne. Il fallait que le froment du Nord vînt alimenter le Midi, que le froment de l’Amérique, de l’Inde ou