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Combien il m’a plu de rencontrer dans le même hôpital cette preuve de la sollicitude d’une souveraine pour le bien-être matériel et le secours moral de son peuple éprouvé !


L’hôpital du Palais me réservait une agréable surprise. Comme nous traversions le grand vestibule, je vis un jeune officier venir à nous. Il s’appuyait sur une canne et boitait légèrement. Il était chaussé de bottes molles et portait la tcherkeska avec une élégance que j’aurais qualifiée d’unique, si je n’avais eu déjà l’occasion d’admirer sur place la distinction naturelle des races caucasiques. Un bachelik rouge, négligemment jeté sur ses épaules, complétait son pittoresque équipement. Lorsqu’il fut arrivé près de nous, le colonel de Vittchkowsky l’arrêta. Présentations, politesses… et nous voilà causant en arpentant le corridor.

Ce sous-lieutenant O…, appartient au régiment du Second Daghestan qui fait partie de la Division Sauvage. C’est le régiment le plus redouté des Allemands et aussi l’un des plus originaux de cette grande Russie qui en compte tant ! La Division Sauvage ! quel nom à la Tarass Boulba, digne d’inspirer une épopée !

Tous les soldats du Second Daghestan sont des engagés volontaires. Ils appartiennent à cette aristocratie du Caucase qui descend en partie des compagnons de Schamyl et dont l’âme est pétrie de vertus guerrières. La plupart sont musulmans et leurs mollahs les accompagnent. Ils forment entre eux des groupes dont chacun a sa langue, ses traditions, ses bardes et par conséquent ses chants guerriers. Leur coiffure nationale, le bachelik, a son histoire. La couleur en varie selon les régimens. Celui du Second Daghestan était blanc. Sous le règne du tsar Nicolas Ier, ce régiment se distingua dans la guerre-contre les Turcs. Il fut si éprouvé que vingt hommes seulement revinrent, tous blessés à la tête… et coiffés de bacheliks rougis de leur sang. L’Empereur perpétua ce souvenir héroïque en décidant que désormais le Second Daghestan porterait un bachelik rouge.

Les cosaques de Tarass Boulba envoyaient leurs fils faire leurs études au séminaire de Kieff, « bien que, nous dit Gogol, une fois hors de l’école, ces libres enfans du steppe s’empressassent d’oublier tout ce qu’ils y avaient appris. » Les futurs