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à lui. Peut-être n’ont-ils pas connu celui qui va dormir son dernier sommeil sur ce coin de terre russe qu’il arrosa de son sang. Qu’importe ? A cette heure, ils le chérissent comme un ami, car la divine fraternité des devoirs est entre eux.

La journée a été claire et bleue dans ce décor de neige blanche. Maintenant, le soleil se couche derrière les canons du bivouac. Un rayon lointain glisse entre les arbres et, sur cette tombe où l’on descend l’humble jeune héros, jette un présage d’immortalité.




LA VEILLÉE DES GRANDS BLESSÉS
À BORD DU TRAIN DE LA GRANDE-DUCHESSE OLGA ALEXANDROVNA

Trois heures du matin. On frappe à la porte de mon coupé. Avertie la veille de cette visite nocturne, j’ai eu soin de ne pas fermer au verrou.

— Entrez !

La porte s’ouvre, et le jeune visage de Sistra Nathalie Dimitrievna, éclairé par la lueur d’une bougie, apparaît dans l’entrebâillement. Nous devons relever ensemble la sœur de garde et achever la nuit dans le wagon des grands blessés.

Avant de nous y rendre, il faut visiter tout le train, s’assurer que les infirmiers sont à leur poste, que les malades et les blessés légers dorment et, s’ils souffrent, leur faire prendre la potion qui ramènera le sommeil.

Le premier wagon est celui des officiers. Ils y sont logés à deux ou quatre, selon les compartimens. Un petit grattement avant d’entr’ouvrir la porte, afin d’avertir de notre présence... Rien d’anormal... Allons, c’est bien... Et l’on passe !

Sistra Nathalie Dimitrievna marche devant moi avec sa croix-rouge et son voile blanc. Son pas est léger, comme il convient à une garde-malade de nuit. Elle a, devant chaque couchette, une façon d’incliner son buste, de voiler la flamme de la bougie qui révèle une âme attentive. Les blessés légers dorment, la tête enfouie sous leur couverture, malgré la température de 18 degrés que l’on entretient dans les wagons. La plupart des Russes, qui supportent si admirablement les froids