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soigné dans un hôpital de Tsarskoié-Sélo, qui, blessé légèrement d’une balle, est cependant mort de sa blessure : la balle était empoisonnée !

— J’ai fait comme docteur la campagne russo-japonaise, dit la princesse, mais comment établir une comparaison ? Si, après la guerre, Japonais et Russes ont pu redevenir amis, c’est qu’on fut correct des deux parts. Les Alliés n’oublieront pas de sitôt la cruauté et la perfidie allemandes.

Ces paroles me rappellent deux épisodes qui montrent à quel point les Turcs eux-mêmes reconnaissent l’infamie de leurs maîtres et s’en indignent. C’était sur le front russe du Caucase. Au cours d’un engagement, des blessés étaient tombés entre les deux lignes de combat. Une sœur de charité russe s’avança sous les balles pour les relever. Aussitôt les Turcs applaudirent et cessèrent le feu. « Nous ne nous battons pas contre des femmes, » dirent-ils. Voyant cela, les Russes cessèrent aussi de tirer, et les blessés furent ramenés dans leurs lignes. En une autre circonstance, un poste de la Croix-Rouge russe tomba entre les mains des Turcs. Heureux de cette bonne capture, ceux-ci prièrent les Sœurs de panser leurs blessés, puis leur rendirent la liberté après leur avoir offert à dîner : « Car, tout de même, dirent-ils, nous ne sommes pas des Allemands. » Ils gardèrent les docteurs et les infirmiers, à cause de l’extrême disette de personnel sanitaire dont ils souffraient, mais en s’excusant, en promettant de les bien traiter et de les renvoyer au bout de quelques jours, — ce qu’ils firent.

Le patient auprès duquel nous sommes paraît beaucoup souffrir. Les muscles de son visage se contractent, mais il ne se plaint pas. Tout à coup, la plaie se met à saigner à longs filets.

— Allons, c’est bien, dit la princesse, il saigne ; on va pouvoir l’opérer.

La princesse Guédroïtz a fait ici des opérations remarquables. L’une d’elles a été pratiquée sur un jeune officier du petit hôpital. Un éclat d’obus lui avait traversé l’épine dorsale et comprimait la moelle, provoquant une paralysie. Heureusement la moelle était intacte. Avec une admirable sûreté de main, la princesse, toujours assistée de l’Impératrice, enleva deux vertèbres et demie au blessé qui est maintenant en voie de guérison.