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l’exode de son peuple, Alexandra, enfermée au cœur de son empire, n’avait d’autre devoir que de grouper le sien autour d’elle, de le rassurer, de raviver sans cesse sa confiance, de panser ses blessures et de raffermir son espoir.

Ainsi a-t-elle fait.

Au fond des nefs orthodoxes, on voit se dresser de somptueuses barrières d’émail et d’or : sur les portans sont peints les visages des saints ou des apôtres ; au centre, des portes ont été pratiquées, si belles qu’aux yeux des fidèles prosternés elles semblent les portes d’or du paradis. C’est l’iconostase. Chaque jour, les portes s’ouvrent pour la célébration de l’office divin : la foule est admise à contempler la pompe des cérémonies, l’autel, les diacres, l’officiant. Mais vienne l’heure de la consécration, les portes se referment ; le saint sacrifice s’achève à l’abri de tous les regards.

Rien ne me semble symboliser mieux le rôle mystique adopté par l’Impératrice. Après les pompes extérieures auxquelles l’Europe entière était conviée, voici que les portes de l’iconostase se sont closes : c’est derrière elles qu’Alexandra Féodorovna communie avec son peuple, sous le voile blanc des Sœurs de Charité. Pouvait-on rêver une plus parfaite, une plus émouvante adaptation à l’âme et aux traditions de la sainte Russie ?

Comme correspondante de la Revue des Deux Mondes, j’ai eu le très particulier et très rare honneur d’être admise en la présence de l’Impératrice, dans le sanctuaire même où elle exerce son apostolat.

J’arrivai à Tsarskoié-Sélo par une belle journée de la fin de ce dernier automne. Une glace légère couvrait la surface des étangs. Les villas disparaissaient sous le voile doré des arbres encore pourvus de leurs feuilles. Une fine gelée blanche couvrait les talus et faisait frissonner les dernières fleurs. Personne dans les avenues, sauf des militaires dans leur sombre et sobre tenue de guerre. Près d’une caserne, des soldats s’exerçaient au maniement de la baïonnette où les Russes ont si vite fait d’exceller. De loin en loin, — il faudrait presque dire : de proche en proche, — flottaient des drapeaux de la Croix-Rouge, car la résidence préférée des Tsars de Russie est devenue un immense hôpital.

Selon la saisissante expression de son historien, M. le colonel