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« d’unir étroitement la religion à la vie populaire, et de la mettre en intime relation avec la science, et avec ce rationalisme intelligent qui dominait dans l’État depuis le XVIIIe siècle. « Autant que cela était possible, proclamait-il avec fierté, « nous avons fait du christianisme une chose genevoise, » et Joseph. Hornung, impitoyablement logique, apprenant en 1860 qu’il était question de donner à la Suisse le Chablais et le Faucigny, lançait de Lausanne une feuille volante pour conjurer les Genevois, non seulement de refuser ce cadeau, mais même de rétrocéder les communes catholiques sardes qu’ils avaient annexées en 1814, et de se débarrasser ainsi de ce sol catholique qui s’accrochait à la cité, de ce sol intrus, de ce sol ennemi.

Ce penseur antichrétien devenait ainsi l’apologiste par excellence de la vieille conception genevoise d’une Eglise-Etat ; audacieusement, il abolissait soixante années d’histoire ; et vis-à-vis de l’Eglise romaine, coupable d’être l’antagoniste historique de Genève, vis-à-vis des mômiers de l’Eglise libre, coupables d’être trop chrétiens et de ne pas corriger l’Evangile comme le savait faire le nationalisme genevois, Hornung rêvait d’une Genève qui garderait une religion officielle, une religion de la cité, reposant, pour toujours, sur les besoins de l’âme genevoise, mais sans être « irrévocablement liée » au christianisme.

Des âmes profondément détachées du christianisme se montreront ainsi, dans la seconde moitié du XIXe siècle, attachées à l’Eglise genevoise par nationalisme ; étrangères à l’esprit même de la religion, elles tiendront à elle comme à un cadre, comme au cadre séculaire de la cité ; elles auront ce que le pasteur François Bordier appelait naguère, avec un mélange de tristesse et d’ironie, la piété jubiléenne, piété essentiellement patriotique et quelque peu judaïque ; et suivant le mot piquant du peintre Hornung, père du juriste, elles seront les contreforts de la cathédrale de Saint-Pierre ; elles soutiendront l’Eglise, mais du dehors. On traite ces hommes de bons protestans, remarquait le pasteur Champendal ; mais ils sont plus protestans que chrétiens ; ils soutiennent l’Eglise comme des arcs-boutans, mais ils n’en sont pas les colonnes, puisqu’ils ne sont pas de l’Eglise. Le Monsieur Pinget dont Philippe Monnier nous donne un amusant croquis, et qui n’a de préjugé u que contre les mômiers, les calotins et les aristos, » répond à ce signalement.