Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/567

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Munier répondait à ce besoin : sans le Réveil, que certainement il aimait peu, Munier n’eût pas été Munier, et tant pour l’Eglise de Genève que pour l’éloquence de la chaire, c’eût été vraiment grand dommage.

Sous le regard interrogateur du vieux Jean-Caton Chenevière, et lui conservant d’ailleurs toute la déférence que naturellement il inspirait, l’Eglise officielle de Genève s’assimilait, je ne dis point les idées du Réveil, moins encore sa théologie, mais certaines de ses tendances, un peu de son souffle, et beaucoup de son esprit.

Mais qu’elle s’animât d’un souffle, qu’elle se vivifiât d’un esprit religieux, c’est à quoi plusieurs de ses partisans, et non des moindres, demeuraient parfaitement indifférens. Elle traînait à sa suite, — c’était peut-être politiquement une force, mais religieusement une faiblesse, — un certain nombre d’âmes dont Gasparin pouvait dire : « Le culte qu’elles professent est celui de leur pays, de leur famille, de leurs habitudes, de leurs convenances, tout en un mot, excepté celui de leur cœur. »

Nous trouvons un document unique sur cette catégorie curieuse d’âmes genevoises dans les multiples brochures que publia contre l’idée de séparation le juriste Joseph Hornung. Philosophiquement parlant, il estimait « que nous ne devons pas rester indéfiniment à l’école de la Judée et du Christ ; que la morale du Christ, calculée pour des mœurs toutes différentes des nôtres, ne saurait plus nous suffire à elle seule ; que le christianisme est une religion d’origine étrangère, qu’il est au-dessous des vieilles religions positives en ce qu’il divinise son fondateur, au lieu de laisser au divin toute sa majesté ; et que le surnaturel enfin n’est qu’une légende de l’Orient, qui fait triste figure à la lumière des discussions publiques. « Politiquement parlant, il estimait que « la distinction entre le sacré et le profane, apportée par l’Evangile, devait disparaître, au profit du profane. » Telle était la façon qu’avait Hornung d’être chrétien. Mais précisément en raison de ces négations, et en raison de ces espérances que l’on pourrait dire antichrétiennes, il voulait, à Genève, le maintien de l’Eglise nationale. Il le voulait en tant que philosophe, pour favoriser dans cette Eglise les progrès du rationalisme ; il le voulait, surtout, en tant que Genevois, parce qu’il jugeait cette Eglise indispensable à la vie collective de Genève, parce qu’à ses yeux il était dans les traditions genevoises