Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/563

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aujourd’hui l’Eglise d’accepter dans son sein, quelle que fût leur attitude religieuse, tous les citoyens qui n’étaient pas romains ou juifs. Ces exceptions mêmes étaient-elles destinées à se maintenir ? Fazy dira plus tard au Grand Conseil : « L’organisation de notre Église nationale protestante est avantageuse à l’Etat républicain ; il n’y en a pas de plus large au monde ; elle admet dans son sein toutes les croyances. On n’y demande pas d’abjuration : un juif, un musulman peuvent en faire partie ; il suffit d’une simple déclaration pour faire partie de l’Eglise et du corps électoral qui la dirige. »

L’Eglise, protestaient certains, est désormais réduite à donner aux ennemis de l’Evangile les mêmes droits qu’à ses fidèles ; elle devient une sorte d’établissement anonyme ouvert à toutes les croyances et à toutes les négations ; elle n’est plus qu’un hangar provisoire et banal. Non seulement elle doit recevoir ceux dont elle ne voudrait pas, mais aussi ceux-là qui ne veulent pas d’elle et dont l’Etat lui attribue les âmes ; et l’on citait l’exemple d’un Rilliet de Candolle, qui avait réclamé d’être rayé du tableau des électeurs de l’Eglise protestante et qui ne pouvait l’obtenir. « Sur quoi repose l’édifice ? gémissait le pasteur Charles Chenevière ; que sera-t-il dans deux ans ? Personne ne peut le dire. Son existence est mise en question tous les quatre ans par les électeurs, puisque c’est la majorité qui décide et que l’Eglise ne s’est réservé aucun moyen d’éliminer les incrédules, les indifférens, en un mot les faux membres qui forment la majorité de l’Etat. » Et les hommes du Réveil, transportant la discussion dans des sphères plus surnaturelles, disaient aux hommes de l’Eglise officielle : Votre conception multitudiniste confond ce que le Seigneur distingue nettement : l’Église et le monde ; l’Église de multitude, dans le mauvais sens du mot, est une Eglise asservie : le monde y domine, et, pour mieux dire, elle est le monde.

Il semblait que dans Genève quelque chose se dissolvait, quelque chose se démantelait. Hommes d’Église et pieux fidèles se demandaient si Fazy voulait en étaler le symbole à tous les yeux, à toutes les oreilles, lorsqu’ils voyaient et entendaient les coups de pioche qui, à partir de 1849, démolissaient par son ordre les anciens remparts. Était-ce donc la cité de Dieu qui tombait ? Le bruit de ces pioches qui, gaiement, tout autour de la vieille ville, élargissaient les espaces pour la ville nouvelle,