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joueur convoqua un Grand Conseil constituant de 95 membres, qui devaient fixer les assises de la Genève contemporaine. La ville de Genève envoya à ce Conseil 44 radicaux ; la campagne, entre autres députés, expédia 20 catholiques ; les alarmes qu’épanchait peu d’années auparavant Rodolphe Töpffer se vérifiaient. La révolution s’était faite avec un programme de guerre contre les confédérés catholiques de la Suisse ; mais, par cela même qu’elle fondait dans Genève le pouvoir absolu de la démocratie, elle accentuait l’influence politique du peuple, catholique, membre de cette démocratie. L’amertume des ouvriers et paysans catholiques contre cette mystérieuse Union protestante qui semblait leur marchander le droit de vivre, le droit, tout au moins, de travailler en terre genevoise, les concilia tout de suite avec un régime qui, pour la première fois, admettait sincèrement, entre catholiques et protestans, l’égalité des droits et l’équivalence de dignité.

Cette démocratie mixte, abordant, entre autres besognes, la constitution de l’Eglise protestante, tint compte des faits nouveaux, introduits dans Genève par l’année 1815, et se refusa cette fois à déclarer que la religion protestante fût la religion dominante ; elle constata seulement, dans un article de la Constitution, que c’était « la religion de la majorité dans l’ancien territoire de la République. » Puis on transporta délibérément sur le terrain de l’Eglise les maximes qui venaient de prévaloir sur le terrain de l’Etat : la masse des fidèles protestans devint légalement souveraine de l’Église protestante. D’Eglise-clergé, qu’elle était encore dans une certaine mesure, cette Eglise devint une Eglise-peuple. Pour faire partie du corps électoral qui désormais régnerait sur elle, aucune confession de foi n’était demandée : il suffisait d’accepter les formes organiques, c’est-à-dire les règlemens administratifs, édictés pour le fonctionnement de l’établissement religieux. Des amendemens furent proposés pour qu’on stipulât, tout au moins, que cette Eglise nationale protestante était une Église chrétienne. Le Grand Conseil constituant les repoussa. Le corps électoral, qui dorénavant devait diriger le protestantisme genevois, se recrutait ainsi, sans aucune condition de croyance, ni même de moralité ; c’était une application brute, mécanique, du principe du suffrage universel.

Il fallut que la Compagnie subit en 1847 ce qu’en 1842 elle