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légiféré sur le protestantisme ; il avait proclamé, dans un article de la Constitution, que la religion protestante était dominante dans le territoire de l’ancienne république, et puis, après cette proclamation, il avait réorganisé cette religion, comme s’il ne l’eût déclarée dominante que pour faire sur elle, tout en même temps, acte de domination.

Les nouveautés politiques dont Genève était le théâtre rendaient Rodolphe Töpffer inconsolable :


Apprenez, écrivait-il, de quels élémens se compose le parti qui renverse notre Constitution. Nos élections livrées à l’esprit de localité, notre législation obligée désormais de compter avec deux fortes minorités : l’une catholique, votant à peu d’exceptions près comme un seul homme, l’autre radicale, suivant avec non moins d’uniformité les impulsions de la foule ignorante qui lui servira d’appui ; ces deux minorités prêtes à se réunir lorsque leurs intérêts particuliers se trouveront d’accord entre eux, mais opposées aux plus chers intérêts de Genève, à l’intérêt général du pays, à ceux de l’intelligence et du protestantisme ; voilà en deux mots notre révolution. Nos confédérés nous exhortent à la modération et au libéralisme. Au libéralisme, quand c’est Rome qui prend pied chez nous !


Les fidèles de Rome, membres de l’Etat de Genève, avaient pris pied, par cela même, dans l’Assemblée qui avait modifié l’Eglise protestante. Eglise de l’Etat. N’était-ce pas un argument de plus pour que cette Eglise cessât bientôt d’être l’Eglise de l’État, pour que bientôt il y eût séparation ? — Non certes, répondait le pasteur Munier : la perspective d’une Eglise que l’État cesserait d’encadrer lui faisait peur ; il l’apercevait s’égrenant en chapelles, sous la poussée du méthodisme. Il voyait les papistes aux portes, avec leur dangereuse maxime : diviser pour régner. Munier les soupçonnait de considérer le méthodisme comme leur meilleur auxiliaire, et peut-être de l’encourager. Et percevant ces voix aventureuses qui demandaient que l’Église fût séparée de l’État, c’est-à-dire que Genève se dédoublât, se brisât, Munier disait : « J’ai cette conviction que le lendemain du jour où la séparation serait prononcée, nous aurions la division de l’Église elle-même, et le démembrement de fait... Quelle plus grande fête pourrait-on servir au papisme ? »

Mais sa confiance dans la vocation de Genève érigeait cependant son âme au-dessus de ces alarmes : « Je ne puis croire, s’écriait-il, à la catholicité de Genève, c’est-à-dire à son anéantissement. » Et tandis que Munier parlait ainsi, retentissait,