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voyaient, en 1839, abolir la confession de foi helvétique et faire une loi ecclésiastique dont le principe, au dire de Vinet, était cyniquement matérialiste. Et la voix de Vinet, dans son Mémoire en faveur de la liberté des cultes, qui est de 1826, dans son Essai sur la conscience et sur la liberté religieuses, qui est de 1829, dans son Essai sur les manifestations des convictions religieuses, qui est de 1842, se faisait progressivement la messagère d’une solution nouvelle : la séparation des Eglises et de l’Etat. On ne pouvait concevoir une idée qui fût plus essentiellement anti-genevoise, plus offensante pour ce qu’avait été Genève et pour ce qu’elle voulait toujours être, plus subversive de la personnalité de cette ville. De prime abord, il semblait impossible que Vinet fût compris. Son ami le pasteur Burnier, qui préconisait l’adoption d’un système ecclésiastique pareil à celui des Etats-Unis, trouvait fort peu d’échos.

Mais en cette même année 1842, la cité politique commençait de se transformer. Une Constituante, convoquée par le patriciat sous une irrésistible pression populaire, élue par le suffrage universel, décidait que tous les citoyens du canton, investis désormais sans distinction de cens de droits politiques égaux, nommeraient le Grand Conseil, et que tous, pourvu qu’ils fussent laïques, seraient éligibles. Cette Constituante s’occupait des cultes : composée de protestans et de catholiques, elle était l’Etat, qui devait légiférer sur l’Eglise d’Etat. Les principes démocratiques que l’on commençait de restaurer dans l’État commencèrent à être restaurés dans l’Eglise : le Consistoire comprit désormais, à côté de quinze pasteurs, nommés par la vénérable Compagnie, vingt-quatre laïques élus par les citoyens protestans des conseils municipaux ; ces vingt-quatre laïques, joints aux membres de la Compagnie, devaient à l’avenir nommer les pasteurs ; et la Compagnie devrait leur proposer tous les règlemens qu’elle jugerait séans pour l’intérêt de l’Église.

C’était là un premier coup porté à cette Église-clergé, qui depuis 1815 régnait sur Genève ; c’était la porte ouverte, dans l’Église réformée, aux influences de la masse électorale. L’État genevois, incarné dans la Constituante, avait pris acte des libertés que les traités de 1815 et 1816 contraignaient Genève d’accorder aux catholiques ; ces traités mêmes l’avaient empêché d’apporter aucun changement grave à la situation du catholicisme. Mais cet État, tout mixte qu’il fût, avait, en définitive,