Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/556

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

enseigner des docteurs. » Mais voici que derrière ces jeunes filles, c’étaient les vieilles qui survenaient ; et Chenevière, de plus en plus enflammé, détestait depuis longtemps ces « régimens de demoiselles entre deux âges, » qui s’en allaient, comme de profondes théologiennes, visiter artisans, pauvres, campagnards, et qui peut-être, à la différence des jeunes, ne se donnaient même pas la peine de venir lui soumettre la Bible, à lui pasteur, à lui ecclésiastique, à lui docteur.

Mais ces jeunes vierges, ces vieilles filles, ces étudians de l’Ecole libre de théologie devaient peu à peu, par la vie même de leurs âmes, agir sur l’Église nationale, et fortifier et réchauffer ceux des membres du corps pastoral qui demeuraient attachés à une certaine orthodoxie. Les conférences d’un ancien combattant de Waterloo devenu pasteur de l’Eglise nationale, Jacques Martin, sur la rédemption et sur le salut, feront en 1846 et 1847 beaucoup de bruit : elles marqueront un esprit singulièrement différent de celui dont s’inspirait la dogmatique de Chenevière. Le Réveil apparaîtra bientôt à tous les esprits, ou à presque tous, comme un bienfait pour la vie religieuse genevoise : il l’avait empêchée de s’anémier, de se tarir ; il exerçait, par surcroît, sur l’Eglise réformée de France, une influence profondément chrétienne. Mais autre chose est la vie religieuse de Genève, autre chose est le maintien de sa personnalité religieuse, de la situation confessionnelle qu’avait affectée, trois siècles durant, son Etat-Eglise. Cette personnalité religieuse, voyant se dresser en dehors d’elle, et parfois contre elle, des consciences protestantes dont la Réforme pouvait s’honorer, était nécessairement diminuée par une telle sécession.


VI

Un fait s’imposait aux regards : des âmes très hautes, très éprises de l’Evangile, abritaient désormais leur vie religieuse dans certaines chapelles qu’aucun lien n’unissait à l’Etat. Elles avaient demandé un coin de nef dans la vaste Eglise nationale : cette Église avait répondu, en fermant à leurs conducteurs ses sacristies. Elles apercevaient l’État voisin, celui de Lausanne, interdisant en 1824, par complaisance pour l’Église nationale du canton de Vaud, les réunions des méthodistes, « des mômiers, » sous peine d’amende, de prison, de bannissement ; elles le