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âme éprise de la folie de la croix, devait plus tard écrire : « Chose singulière, quand le christianisme est raisonnable, il n’a plus de force. » Ces pasteurs s’appelaient Demelleyier, Moulinié, Peschier, Diodati, Duby, Cellerier. Mais ils n’étaient que des exceptions, et ces exceptions parfois devenaient suspectes : la Compagnie des pasteurs, apprenant que Moulinié donnait chez lui des réunions bibliques, s’en montrait choquée, comme d’une muette critique qui visait l’enseignement de l’Académie.

Cependant la secrète révolte des âmes avait passé outre aux susceptibilités de la Compagnie. Dès 1810, quelques étudians, Ami Bost, Empeytaz, Guers, conquis à une foi plus mystique par l’influence de certains Frères Moraves, créaient, pour se réchauffer entre eux, la Société des Amis : ils sentaient dans, l’Eglise « l’atonie absolue de la foi, véritable aqua tofana des âmes ; » ils voulaient réagir, ils cherchaient ailleurs le salut. Mme de Krüdener, qui parut à Genève en 1813, portait dans leurs conciliabules son prophétisme exalté.

Le Consistoire et la Compagnie grondèrent, et se disposèrent à sévir ; après d’inutiles efforts pour amener Empeytaz à résipiscence, ils le déclarèrent, en juin 1814, exclu des chaires de Genève. Il finit, en août 1816, par publier à Baden des Considérations sur la divinité de Jésus-Christ adressées à messieurs les étudians de l’auditoire de théologie de l’Église de Genève. La Compagnie, une fois de plus, était convaincue d’être arienne. Cellerier père, qui avait tout à la fois un grand respect pour le passé de la Compagnie et une sorte de tendresse pour les âmes ferventes qui se détachaient d’elle, se flatta de les pacifier et de sauver ainsi l’honneur de ses confrères en proclamant, dans un sermon, le jour de Noël, la divinité du Christ ; mais dans un discours sur les mystères, le pasteur Jacques Heyer visa Cellerier ; il mit ses auditeurs en garde contre « le danger de s’occuper préférablement des choses incompréhensibles ; » et s’insurgeant contre certain calvinisme, il réclama le droit, pour les chrétiens, d’admettre que leurs âmes avaient été créées pures et bonnes. Les polémiques allaient s’échauffant. Silence ! silence ! édicta la Compagnie : il fut décidé qu’on traiterait Jésus d’être divin, qu’on admettrait que tous les hommes sont pécheurs, et que sur les points controversés on se tairait.

Mais au silence des chaires allait riposter un certain murmure, entre les quatre parois d’une chambre d’hôtel. En