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maîtres : adieu les lois éventuelles, par lesquelles Genève s’était disposée à limiter les droits de ses citoyens catholiques ! Elle dut promettre à son voisin Savoyard de les assimiler pleinement, pour les droits civils et politiques, aux Genevois de la ville.

Instruit et guidé par Vuarin, le gouvernement de Turin, qui, deux siècles plus tôt, à l’heure de l’Escalade, n’avait pu s’implanter dans la cité protestante, pénétrait désormais, en quelque mesure, dans la vie politique du canton : il donnait aux Genevois un petit morceau de sol, de sol catholique, mais le traité même qui le leur attribuait, leur défendait d’y faire acte de législation oppressive. La Sardaigne, de concert avec l’Europe, avait agrandi la République de Genève ; mais la Sardaigne faisait planer, sur les catholiques dont elle lui avait fait présent, une protection très stricte, très prévoyante. Genève, en 1824, devra, sur l’ordre de la Sardaigne, modifier la législation qu’elle s’était permis de faire en 1821 sur le mariage civil ; elle devra déclarer que, dans les communes cédées par le gouvernement sarde, les mariages ne seront valides que s’ils sont célébrés devant les curés compétens ; et jusqu’en 1866 il y aura dans le canton deux catégories de citoyens : les uns, catholiques des anciennes communes sardes, ne dépendront de la législation genevoise qu’autant qu’elle sera compatible avec les traités internationaux qu’avait dû signer Genève ; les autres, au contraire, relèveront sans réserve de la législation intégrale de l’Etat.


III

Le traité de Turin signifiait à Genève qu’elle était désormais un canton mixte ; et si mixte signifiait impur, c’était tant pis. La Genève calvinienne devait être hospitalière aux catholiques, et pour veiller à ce qu’elle gardât conscience de ce devoir, l’abbé Vuarin était là. Le curé de l’Eglise qui, vingt ans plus tôt, dans la petite Genève, n’était encore qu’une Eglise expulsée, allait surveiller au jour le jour la conduite de la « plus grande Genève. » Vingt ans plus tôt, il était une façon de lépreux, que tour à tour les propriétaires éconduisaient. Aujourd’hui, rendu chatouilleux par les affronts mêmes qu’avait subis son Eglise, il se dressait, toujours aux aguets, pour que le canton cessât, loyalement, sincèrement, d’être un canton confessionnel ;