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en vertu même de leur séparation confessionnelle, pour que Genève demeurât toute petite. Ces susceptibilités religieuses entravaient l’action des diplomates ; et il fallut près de deux ans, de mai 1814 à mars 1816, — deux ans troublés par la prodigieuse équipée des Cent Jours, — pour que le second congrès de Paris et le traité de Turin achevassent de définir ce que serait dorénavant Genève.

A la différence de Gênes, et de Venise, et de la Pologne, Genève, dans le droit public de la nouvelle Europe, demeurait une personne : la notoriété qu’elle avait obtenue comme ville-Eglise et qui lui valait l’attention spéciale des Puissances réformées en était en grande partie la cause. « C’est le monde dans une noix, « disait d’elle Bonstetten ; on n’avait pas jeté cette noix aux convoitises avides, à la France ou bien à la Sardaigne, parce qu’une accoutumance historique avait habitué le monde réformé à s’abriter, à s’instruire, à se réchauffer dans sa coque hospitalière. Mais ces bienfaits de l’Europe, que Genève devait au caractère confessionnel de son passé, avaient à jamais compromis le caractère confessionnel de son avenir.

Genève recevait de la France 6 communes et 3 350 habitans, de la Sardaigne 14 communes et 12 700 habitans : cette banlieue catholique cernait désormais la cité. Les Genevois, disait un homme politique de l’époque, ont désenclavé leur territoire, mais ils ont enclavé leur religion.

A l’écart de la diplomatie genevoise, la diplomatie de l’abbé Vuarin, représentante improvisée de ces communes catholiques qu’on livrait à Genève, avait agi ; et le protocole du Congrès de Vienne du 29 mars 1815, le traité de Turin du 16 mars 1816, plaçaient l’Eglise catholique de Genève sous la sauvegarde du droit public européen. Genève devait entretenir les prêtres et le culte, dans les communes savoyardes qu’elle acquérait, comme l’avait fait, jusque là, la cour de Turin ; elle s’engageait, vis-à-vis de cette cour, à respecter certaines libertés canoniques, certaines prérogatives de la hiérarchie ; à maintenir, à sa propre charge, « l’Eglise catholique existant à Genève, » à en loger le curé, à le doter convenablement. La volonté de l’Europe et de l’Etat sarde fixait ainsi les obligations que Genève devait accepter à l’endroit du culte catholique dans le territoire même de la vieille cité. Par surcroît, la cour de Turin s’occupait de la situation politique de ses anciens sujets sous leurs nouveaux