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était de tous côtés encerclé par des terres françaises ; Jussy et les villages de la Champagne, qui étaient aussi possession genevoise, se trouvaient comme emprisonnés par des terres savoyardes. Il fallait, tout au moins, « désenclaver » Peney, Jussy et la Champagne, rendre genevoises toutes les terres françaises ou savoyardes qui s’interposaient entre ces possessions rurales de Genève, et réunir géographiquement le territoire du futur canton à celui du canton de Vaud, S’incorporer ainsi dans la Confédération suisse, c’était pour la petite république l’indépendance politique assurée ; mais on pouvait se demander ce que deviendrait, dans ce statut nouveau, la personnalité religieuse de Genève, qu’une brochure de Sismondi célébrait comme la capitale continentale du protestantisme. Il y avait vingt ans seulement que le dernier mot du peuple souverain avait frappé d’ostracisme les catholiques ; ce peuple, devenu sujet, avait dû en recevoir quelques milliers ; de nouveau il était souverain, et voici qu’il lui fallait insérer dans son territoire un chiffre notable d’agglomérations catholiques. Il s’agissait de faire de Genève, pour la rendre plus digne de devenir un canton suisse, une république plus riche de terres, plus riche d’hommes ; mais ces terres étaient des terres d’idolâtrie ; ces hommes, confondus avec le reste du corps genevois, se permettraient de venir, dans Genève, étaler leur idolâtrie. Au loin, en Italie surtout, grâce à des colonies genevoises, la vieille âme de la vieille Genève rayonnait. Sismondi notait qu’à Gênes et à Naples une souscription était ouverte pour établir un ministre genevois, qu’à Corfou, même, on voulait suivre l’exemple, que l’Angleterre songeait à créer des bourses pour des Italiens, pour des Vaudois, pour des Français, qui viendraient étudier à Genève et porteraient ensuite en pays catholique l’Evangile genevois. Et cette Genève, dont le rôle religieux semblait bien n’être pas achevé, risquait d’être cernée, et bientôt peut-être submergée par le flot des catholiques : n’ayant rien de commun avec l’âme genevoise, ils allaient peut-être devenir des membres du corps genevois.

J’imagine que certains fidèles de la Réforme, voyant en quelle tentation Genève était induite, relurent souvent dans leur Bible, en ces années 1814 et 1815, l’épisode du Fils de Dieu repoussant les offres de Satan qui, lui montrant les royaumes de la terre, lui disait : Tout cela t’appartiendra. Le peuple de