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Ce principe une fois posé et fermement maintenu, Bonaparte affectait d’honorer le passé de Genève et les prérogatives morales qu’un tel passé créait à cette ville. Un jour de 1801, Pictet-Diodali, que Mme de Staël et Benjamin Constant venaient de faire nommer, pour cinq ans, membre du Corps Législatif, avait dit au Premier Consul : « Surtout, conservez-nous notre instruction religieuse et ne nous donnez pas d’évêque, nous sommes tous hérétiques. » Bonaparte avait compris. Annonçant au Conseil d’Etat les préparatifs du futur Concordat, il ajoutait que les calvinistes de France auraient leur métropole à Genève. Compensation consolante pour le peuple de Dieu : il était devenu Français ; mais, de par la volonté du gouvernement français, il pourrait exercer sur les protestans de toute la France une primauté. Les circonstances nouvelles s’éclairaient, la situation se définissait : Genève devait laisser dire la messe, et même la laisser chanter ; à prendre au pied de la lettre la parole de son préfet, il n’y avait même plus, sur les bords du Léman, une religion prépondérante ; mais l’Auditoire de théologie allait redevenir, comme au temps de Calvin, une sorte de séminaire central pour le calvinisme de langue française. Portails pensait comme Bonaparte ; il fallait que Genève demeurât, dans le protestantisme, une ville prééminente. En décembre 1804, après le sacre, ce fut un pasteur de Genève, Martin-Gourgas, qui présenta à l’Empereur les délégués des Eglises réformées françaises, et qui dirigea la réunion dans laquelle les vingt-cinq présidens des Consistoires échangèrent leurs vues sur l’avenir de la Réforme ; et c’est vers Genève que les Eglises de France tourneront leurs regards lorsqu’en 1811 elles songeront à élaborer un projet pour une organisation d’ensemble. Genève éprouvait peut-être quelque fierté pour son rôle de métropole ; mais elle ne le remplit jamais qu’avec une certaine discrétion. Elle était plus préoccupée, semble-t-il, d’empêcher la mainmise de la France sur son Académie, sur sa Faculté de théologie, que d’assurer à cette Académie, à cette Faculté, un vaste rayonnement sur les Eglises de France. Elle était plus jalouse d’indépendance qu’ambitieuse d’hégémonie. Il lui restait quelque chose de la Genève calvinienne, facilement ombrageuse, habituée à se suffire à elle-même, à se contenter d’elle-même et des apports que lui amenait son Dieu, et qu’elle s’assimilait.

L’Empereur, caetes, faisait aux Genevois un beau cadeau,