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disent), du chocolat, et ils ne savaient comment me témoigner leur reconnaissance pour ces menus soins.

J’acceptai avec empressement. L’un d’eux donna le ton et tout de suite leurs voix s’harmonisèrent. D’abord, ils chantèrent la chanson de La mort de Yermak le Cosaque, qui conquit la Sibérie et l’offrit au Tsar de Moscou, comme on offre un collier à la femme qu’on aime.

« La tempête mugit, le tonnerre gronde, la pluie fait rage et Yermak pensif est assis sur les bords de l’Irtych. Les compagnons de ses travaux dorment au milieu des tentes étalées, et Yermak songe : « Qu’importe la mort ? Nous avons accompli notre tâche ; la Sibérie est soumise au Tsar, et nous n’aurons pas passé inutiles ! »

Koutchoum, le Tsar méprisable de Sibérie, tant de fois vaincu par Yermak, arrive par un sentier secret et surprend les héros endormis. Yermak se réveille, voit le danger et court vers l’Irtych. Hélas ! les barques sont loin de la rive ; le héros se jette dans le fleuve et le fend de ses bras puissans. Mais sa lourde cuirasse, cadeau du Tsar, l’entraine, et l’Irtych aux vagues tumultueuses se referme à jamais sur lui ! »

A ce chant épique succède une sorte de complainte guerrière. Le père part pour la guerre avec cinq de ses fils. Le sixième a douze ans et veut partir aussi ; mais le père le supplie. Il fait entrevoir à l’enfant trop hardi la dure vie des camps, les risques de la bataille, les souffrances du blessé, les affres de la mort. Le petit héros n’entend rien et brûle de se sacrifier à son pays... Alors, le père ému consent ; il embrasse son fils et l’emmène.

Et, parmi les six frères, l’enfant se montre le plus résolu et le plus vaillant.

Puis vint la Chanson des yeux noirs, des yeux qu’on aime. Le bien-aimé est parti pour la guerre, et la fiancée cherche partout ses yeux noirs. Elle les cherche le matin et les demande encore le soir. Elle erre dans le jardin et dans les champs, comme la Sulamite. Mais les fleurs n’ont rien à lui dire, et l’herbe nouvelle ne sait rien du passé !... Alors elle se lamente : elle.se lamente, car un jour quelqu’un lui passera au doigt l’anneau d’or, mais ce ne sera pas le beau guerrier aux yeux noirs ; quelqu’un la conduira à l’église, mais ce ne sera pas son bien-aimé…