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ont sûrement réussi à effrayer les Allemands et à contenir quelque peu leurs atrocités. Un jour que je voyais pendre dix officiers et une centaine de soldats allemands, surpris tandis qu’ils essayaient contre nous une ruse particulièrement lâche et vilaine, je me suis rappelé que les premiers meurtres dont j’eusse été témoin dans cette horrible guerre avaient été ceux d’infortunés « civils » russes dans les rues de Kalisz ; et que si maintenant, en levant un doigt, j’avais pu sauver la vie de l’un quelconque de ces 110 gredins, j’atteste mon honneur que je ne l’eusse point levé ! Car il faut savoir encore que chacun d’entre eux se trouvait dûment convaincu d’avoir outragé des femmes, achevé des blessés, torturé des enfants, et dévalisé des maisons du voisinage. — Mais n’importe, le fait est que mes Cosaques étaient vraiment des gaillards terribles et dont il ne fallait pas exciter la colère !


Dans un village des environs de Souwalki, d’où les Russes venaient de chasser un régiment prussien, M. Morse a découvert les traces de forfaits si monstrueux que les pages qu’il emploie à nous les décrire risqueraient, vraiment, de « dégoûter » le lecteur français. C’est comme si un vent de folie sanguinaire et « sadique » avait soufflé tout d’un coup sur ces âmes rudimentaires, balayant tout ce que des siècles de civilisation chrétienne y avaient déposé de sentimens « humains. » Et toujours l’irrésistible « plaisir de nuire, » et toujours ce manque foncier d’intelligence psychologique dont j’ai eu déjà mainte fois l’occasion de parler. Connaissant la piété du soldat russe, les troupes allemandes n’avaient pas de plus grand bonheur que de profaner ignoblement les églises des villes et villages où elles pénétraient ! De telle façon que nous-mêmes, tout au long de l’émouvant récit du volontaire anglais, ne pouvons pas nous empêcher d’excuser, pour le moins, ces « représailles » dont nous devinons qu’il a volontiers pris sa petite part. Et comme nous comprenons, en tout cas, l’ardeur ingénue du vieux négociant d’outre-Manche, — avec ses instincts nationaux de sportsman, — à « faire le coup de feu » sur un « gros gibier » tel que celui-là !


T. DE WYZEWA.