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suite, qui embrassent les quatre quintes, en adoucit considérablement l’impression, quoique les suites d’octaves soient proscrites par les règles aussi bien que les suites de quintes.

« Mais la raison pour laquelle cette suite d’octaves adoucit l’impression que produirait sans elle la suite de quintes, c’est que, par la présence même de ces octaves, l’effet ressenti par l’oreille est celui d’une suite de sixtes, qui est comme la résultante de l’emploi simultané des quintes et des octaves.

« Ainsi le sens infaillible du génie devine (sans même se les définir souvent) les conditions supérieures sous lesquelles la violation d’une règle élémentaire cesse d’être une incorrection. »

Peu de « morceaux, » dans le répertoire de notre « grand opéra, » sont plus célèbres, plus populaires que « Sombres forêts. » Fi donc ! Une « romance ! » Et de princesse encore ! Double vieillerie. Mais d’abord, il y a de belles romances, et « Sombres forêts » est l’une des plus belles. Un admirable prélude, un prélude romantique l’annonce. En quoi « romantique ? » On fait dire au mot tant de choses ! Brunetière y voyait, entre autres, le moyen âge et le catholicisme, qui n’ont sûrement rien à faire ici. Le romantisme de cette introduction consisterait plutôt en un certain sentiment, ou mieux en un sentiment incertain, mystérieux, qui dans la nuit et dans la solitude, au fond des bois, émeut et trouble vaguement le cœur d’une jeune fille. Une princesse, ne l’oublions pas, amoureuse d’un paysan. « Quel état et quel état ! »


Arnold ! Arnold ! Est-ce bien toi,
Simple habitant de ces campagnes,
L’espoir, l’orgueil de nos montagnes,
Qui charmes ma pensée et causes mon effroi ?


Sujet, donnée, antithèse, conditions inégales des amans, rien de plus conforme encore au pur idéal romantique : voyez Victor Hugo (la Reine et Ruy Blas), ou George Sand (Bénédict et Valentine, dans le roman qui porte ce dernier nom). La situation respective des deux personnages, dans l’opéra, n’est pas moins saugrenue que dans le roman et dans le drame. Peut-être l’est-elle encore davantage, à cause des paroles, de celles que nous venons de citer, et d’autres, que nous transcrirons encore. Oublions-les, oublions aussi le rang de l’héroïne, de l’amoureuse, et l’humble, trop humble objet d’une flamme si belle. Ne pensons qu’à cette flamme même, à cet amour « en soi. » Dans la musique alors, dans la seule musique de ce prélude, puis de ce récitatif,