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de lui, c’est ce que rien ne lui fera jamais ni admettre, ni concevoir. Qu’il se soit éloigné d’elle, c’est un accident, une folie passagère, un cauchemar, l’erreur d’un moment et ne peut pas durer. Elle le reprendra, il sera à elle et rien qu’à elle, car il lui appartient, et cela seul est vrai et tout le reste est absurde. Par là s’explique qu’à la moindre apparence d’un retour, elle n’ait pas une minute d’incertitude et ne doute pas un instant que Pyrrhus ne lui soit revenu. Comment ne prendrait-elle pas pour réalité ce qu’elle souhaite éperdument, de tous les instans de sa vie et de toutes les forces de son être ? L’autre soir, quand elle a crié à Pyrrhus qui feint de la croire indifférente : « Je ne t’ai pas aimé, cruel, qu’ai-je donc fait ? » un mouvement instinctif nous a soulevés ; nous étions prêts à lui apporter notre témoignage ; nous l’avions si bien reconnu à toutes ses paroles et à tous ses gestes, à ses attentes, à ses colères, à ses désespoirs, à ses attendrissemens et à ses fureurs, cet amour unique et impérieux ! Le fameux « Qui te l’a dit ? » n’est pas un démenti qu’Hermione se donne à elle-même dans un brusque évanouissement de la mémoire et dans un soudain égarement de la passion. Tout au contraire, c’est le cri de ses entrailles, celui qui atteste sa volonté vraie, profonde et de toujours : conserver le cours d’une si belle vie, protéger une tête si chère ! Le crime d’Oreste ne lui apparaît pas seulement odieux, mais stupide. Imaginer qu’Hermione souhaitât la mort de Pyrrhus, par qui seul elle respire, comment un être s’est-il rencontré pour commettre cette aberration énorme et cette monstrueuse sottise ?

Ce qu’il y a de plus frappant dans le rôle d’Oreste, c’est son extraordinaire « modernité. » En effet, tandis que les personnages du théâtre classique sont, à peu près tous, des êtres bien portans, en possession de toutes leurs facultés, et, jusque dans le paroxysme de la passion, maîtres de leur esprit, celui-là est un malade. Racine en a fait, comme s’expriment les aliénistes d’aujourd’hui, un demi-fou. Les premiers mots que Pylade lui adresse sont pour nous signaler cette mélancolie dont l’âme de son ami est depuis si longtemps envahie et cette obstination qu’il met à chercher la mort. Humeur noire, neurasthénie, manie du suicide à laquelle il faut joindre la manie des persécutions, nous voilà en pleine psychologie morbide : le poète du XVIIe siècle n’a pas attendu que notre littérature eût fait appel aux enseignemens de la clinique. Par cela même qu’il est un malade, et un malade de l’esprit, Oreste est déjà un héros romantique. Il est, comme le sera plus tard Hernani, le maudit sur qui pèse