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— C’est trop..., dit un petit fantassin qui se détournait pour qu’on ne vît pas ses larmes.

Dans le wagon des blessés tuberculeux, nous entendions retentir les voix joyeuses des camarades, et quelques-uns des alités, faisant signe contre les vitres, essayaient bien de prendre part à cette fête dont le brouhaha parvenait jusqu’à eux.

D’autres semblent déjà trop loin de nous pour que les rumeurs de la vie les atteignent encore.

Cet homme brun, si pâle, à l’air déjà vieux, dit à l’infirmier qui essaie de lui faire boire un peu de Champagne :

— Au commencement... j’aurais pu guérir... mais à présent !...

C’est un Méridional. Nous lui parlons du bon soleil de la Provence. Sans répondre, il tourne vers nous son visage, et je rencontre le regard de ses yeux sans espérance. Il ne se plaint pas cependant. Il a même, pour remercier, une ombre de sourire. Mais je devine qu’à cette minute où il rentre au pays, le mot demain déroule devant lui la perspective inexorable et toute proche. On a beau accepter le sacrifice, il est des heures où il apparaît avec une précision terrible. Et il faut, chaque fois, le consommer de nouveau.

Cet homme dit simplement :

— J’ai là-bas, en Provence, ma femme et mes quatre enfans...

Ah ! ils ne se font pas d’illusions... Un autre rapatrié a dit :

— Je rentre en France pour mourir.

Ces malades ont entre eux comme un air de famille : cette face exténuée, la peau qui se tend sur les pommettes luisantes, cette maigreur... Ces visages encore jeunes et qui apparaissent arides et dévastés. Une infirmière soutient celui-ci dans ses bras, le recouche avec précaution. Alors il me dit, d’une voix qui n’est qu’un souffle, avec quelle expression de douleur :

— Le pauvre camarade !

Et il désigne du regard une couchette vide et rabattue contre la paroi.

J’ai compris. Je n’ose pas répondre. Et je demande tout bas à la sœur :

— Quand ?