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également convaincus qu’aucune des trois Puissances ne marcherait. Guillaume II, qui n’avait pas encore songé, comme il le fit après ses premières déceptions, à accuser, tantôt l’une, tantôt l’autre, des Puissances de la Triple Entente, de provoquer la guerre, pensait au contraire, avec quelque regret sans doute, qu’il n’aurait, le Quos ego une fois prononcé, qu’à croiser les mains sur la poignée de son épée.

L’Allemagne n’a jamais connu ni compris la France. Ses deux seuls hommes d’Etat qui aient eu parfois une intuition, une lueur de ce que la France pouvait être, le prince de Bismarck et, plus tard, le prince de Bülow, n’ont pu, devant les préjugés de leur entourage et du milieu où ils vivaient, agir en conséquence et donner le coup de barre du bon côté. Le prince de Bismarck a trop tiré parti lui-même de notre propre histoire pour nous ignorer et se tromper à notre égard autant que l’ont fait tous ses compatriotes. Le prince de Bülow, qui avait longtemps vécu parmi nous, qui lisait nos journaux et nos livres, qui avait réfléchi sur cette page profonde dédiée par M. de Tocqueville à la France, et qu’il cite tout au long dans son ouvrage sur la Politique allemande, qui avait le goût de notre esprit et de notre langue, n’a pas non plus partagé toutes les erreurs commises dans son pays sur notre compte. Mais, de fait, ils n’ont, ni l’un ni l’autre, dans leur gouvernement, mis à profit cette intelligence relative qu’ils avaient de nous pour orienter la politique allemande dans une autre direction. Ils ont pratiqué à notre endroit le système de la double douche, tantôt nous faisant, dans le détail (et avec quelle lourdeur !) des offres, des avances imprévues, le plus souvent nous menaçant, sans se rappeler qu’ils avaient affaire à un peuple fier, fidèle à ses souvenirs, prêt aux plus grands sacrifices, et qui, sur le chemin de l’honneur, ne bronche pas. Ils n’ont pas vu que, malgré mainte traverse, maint obstacle, la France, qu’ils s’étaient efforcés de réduire, de contenir, d’enfermer dans son isolement, se relevait, se conciliait l’estime, la sympathie, la confiance de Puissances sur lesquelles l’Allemagne croyait encore pouvoir compter. Le prince de Bülow et son successeur n’ont pas senti battre, l’un en 1905, l’autre en 1911, le pouls de la France, dont la consultation eût dû suffire à éclairer leur diagnostic. Ils n’ont pas compris que leurs provocations, leur arrogance, retrempaient le patriotisme français et l’unité nationale,