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son trésor de guerre, et, à l’occasion, de dissimuler, pour un temps, sous le vernis de la culture et jusque sous le masque des traités, ses abominables desseins d’universelle convoitise et conquête. Tout en s’armant et se ceignant les reins dans ses arsenaux, ses casernes, ses chantiers, ses ports et ses banques, elle a voulu, pendant la paix, se réserver le bénéfice du droit ; elle a signé des traités et conventions qu’elle était d’avance résolue à violer ; elle n’est restée dans la compagnie des Puissances civilisées, elle n’a adopté ou paru adopter les idées, principes et mœurs qui constituent la communauté des nations et le droit des gens que pour mieux couvrir et abriter la préparation de ses forfaits.

Après s’être ainsi déformée et reforgée elle-même, sur un autre plan et modèle, pour l’œuvre qu’elle préméditait, l’Allemagne n’avait plus le regard très clair, ni le jugement très sûr, pour apprécier les autres peuples ou Etats, pas même ses alliés, auxquels elle n’a jamais d’ailleurs témoigné grande considération. L’Autriche-Hongrie, l’ancienne rivale et ennemie, exclue par elle de la Confédération germanique, et rattachée à sa politique par crainte et haine de la Russie, n’a jamais reçu d’elle qu’un assez médiocre traitement. L’Allemagne lui a, à certains momens, décerné le brevet de brillant second, lorsqu’elle était satisfaite de sa docilité, mais elle ne lui a pas même conservé dans la pratique de l’alliance les avantages qu’elle avait fait luire devant elle du côté de l’Orient. Dans la poussée vers l’Est (Drang nacfi Osten), c’est l’Allemagne qui s’est poussée elle-même le plus avant, du moins vers les points utiles et lucratifs, écrémant tout le dessus du pot au lait où l’Autriche-Hongrie avait cru placer ses espérances. Quand l’heure des réalisations a sonné, l’Autriche-Hongrie n’a recueilli que les deux provinces de Bosnie et d’Herzégovine, qu’elle détenait déjà sous un autre titre : encore a-t-elle dû les racheter à la Turquie, et cette annexion non gratuite, mais éphémère, va coûter de plus à la double monarchie une bonne moitié de ce qui lui restait, si le sacrifice n’est pas plus considérable encore. — Il est à peine besoin de mentionner ici la Turquie ; celle-ci n’a été qu’un instrument, une vassale, et elle achève ignominieusement, dans sa servitude présente, une existence dont elle n’a dû la prolongation inattendue qu’à la générosité des Puissances aujourd’hui unies pour y mettre un terme.