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leur seront enseignées. Par amitié, le Brahme me fit connaître, toujours en grand secret, ces choses qu’ils doivent tenir cachées. En voici une : Vous ne direz pas qu’il y a un seul Dieu créateur du ciel et de la terre, lequel est dans les cieux ; mais vous l’adorerez, lui, et non les idoles, qui sont des démons. » L’abbé Dubois rapporte une formule à peu près semblable que le Brahme prononçait devant son fils en l’investissant du cordon brahmanique. Il n’y est point question d’idoles qui seraient des démons, et pour cause : l’abbé Dubois connaît l’Inde, et François l’ignore. Les idoles n’étaient point des démons aux yeux des Hindous, ou plutôt les Hindous ne concevaient point les démons comme des ennemis de Dieu ou comme des êtres s’opposant à Dieu. Du reste, l’abbé Dubois nous avertit que cette formule d’initiation est souvent obscure et peu intelligible, au moins pour l’adolescent qui la reçoit. Et l’on peut douter que lui-même il l’entende très bien, tant l’idée d’un Dieu personnel est le plus souvent étrangère à l’esprit panthéistique des Hindous. François était dupe de vagues analogies et de traductions inexactes. Son Brahme lui dit aussi que ces sages docteurs observaient le dimanche. « Chose à peine croyable ! » s’écrie-t-il. Même genre d’erreurs : la semaine hindoue est identique à la nôtre ; mais le dimanche n’est, pas plus que les autres jours, consacré à la prière. Enfin il apprit, avec un étonnement qui nous prouve combien l’ignorance des Portugais était profonde, que les Brahmes possédaient « quelques livres » où étaient renfermés « des commandemens conformes à la loi naturelle. » Ses relations avec ce Brahme se terminèrent sur une scène curieuse. Le Brahme, après lui avoir confié ainsi les secrets de sa religion, le pria de lui révéler à son tour les mystères de la loi du Christ et lui promit de ne les découvrir à personne. Mais François lui répondit : « Je ne vous les dirai que vous ne m’ayez, au contraire, promis de les proclamer ! » Dans la paillote obscure où s’échangent difficilement leurs pensées, ces deux hommes représentent les esprits religieux de deux mondes. L’un, venu de nuit comme Nicodème, est persuadé que la vérité n’est que le privilège d’une initiation mystérieuse et qu’elle a besoin de la pénombre pour éployer ses ailes ; l’autre est convaincu qu’elle appartient de droit à tous et qu’elle craint si peu la lumière que, là où elle passe, l’ombre devient lumière.

La lettre de François, qui nous donne tous ces détails, la