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de ses pairs dans un rôle qui l’eût exposé à leur mépris. Il appartenait donc à une caste inférieure, et, si chrétien qu’il fût, il n’en gardait pas moins le respect de la caste souveraine. Par conséquent, il atténuait tout ce que les paroles de l’apôtre avaient de vif et d’impérieux, et d’autre part, pour le flatter et l’honorer, il ne lui transmettait, dans les paroles des Brahmes, que ce qui pouvait ressembler à une adhésion polie. Les interprètes sont de terribles conciliateurs. Que les Brahmes aient admis l’immortalité de l’âme, nous n’en sommes point surpris ; mais ils n’ont pas dit comment ils l’entendaient, et la distinction qu’ils auraient faite entre l’homme et la bête nous paraît assez étrange et bien plus occidentale qu’orientale. François, convaincu qu’il n’avait en face de lui que des gens aussi peu lettrés que ses Paravers, ne s’est point mis en frais d’explications théologiques que, du reste, son interprète eût été incapable de rendre. Et il est arrivé ce qui arrive toujours en pareil cas : l’entretien s’est abaissé à des curiosités que nous estimons puériles, parce que nous en sommes l’objet, sans songer que la plupart des nôtres le sont tout autant. Quand ils lui ont demandé par où s’en allait l’âme, ils voulaient simplement savoir si c’est l’habitude en Occident, comme dans l’Inde, de briser le crâne du mort afin de la mettre en liberté. Leur question sur la couleur de Dieu n’était naïve qu’en ce sens qu’ils auraient pu deviner, à la blancheur de notre teint, comment nous nous le représentions. Et François, pour qui les divinités hindoues sont aussi hideuses que pour les anciens voyageurs ces montagnes et ces précipices dont nous admirons aujourd’hui la beauté grandiose et mélancolique, François semble oublier que nous avons des statues de bronze et des Vierges Noires. Enfin, il est impossible de voir dans leurs dernières paroles autre chose qu’une fin de non-recevoir enveloppée de courtoisie. Lorsque l’apôtre les quitta, ils portèrent probablement sur lui un jugement analogue à celui qu’il emportait d’eux : une pauvre intelligence avec des lueurs.

Cependant, François rencontra, dans une localité de la côte qu’il ne nomme pas, un Brahme qui lui parut « un peu instruit. » On disait qu’il avait étudié dans des écoles célèbres, probablement à Maduré. « Je trouvai le moyen, raconte-t-il, d’avoir des entrevues avec lui. Il me confia, en grand secret, que la première chose que les maîtres exigent de leurs écoliers, c’est le serment de ne jamais révéler certaines doctrines qui