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voulait dire en tamoul les moustaches. Enfin la question : Veux-tu embrasser la religion chrétienne ? se traduisait par : Veux-tu entrer dans la caste des Frangui ? ou, si vous aimez mieux : Veux-tu entrer dans la caste des gens impurs ? C’était avec ce truchement que François tentait les approches des cœurs.

II s’installait pendant un mois dans un petit groupe de hameaux ; et, deux fois par jour, au son de sa clochette, il appelait les enfans et leurs parens. On commençait par le Credo. François disait les premières paroles, et tous suivaient. Le Credo achevé, il le répétait, lui seul, article par article. Il leur expliquait, dans un commentaire appris par cœur, que l’on est chrétien si l’on croit fermement les douze articles, et, après chacun d’eux, il leur demandait : « Le croyez-vous ? » Et tous, les bras en croix sur la poitrine, répondaient : « Oui. » Et l’on passait aux dix commandemens. Il leur faisait remarquer, soit en des phrases toutes préparées, soit avec l’aide d’un interprète, combien la loi du Christ est conforme à la raison naturelle. Et c’est là qu’il devait endurer le plus impatiemment son impuissance à se communiquer par la parole. Son cœur n’était plus qu’une prison douloureuse où s’agitaient des pensées muettes. A ces momens-là, son visage s’inondait de sueur. Cependant ses auditeurs, qui n’avaient jamais envisagé la possibilité de rien savoir des sciences divines, étaient stupéfaits d’apprendre tout à coup que ces sciences se réduisaient à des principes si clairs et que Dieu les avait dès l’origine déposées dans leur âme. Cette connaissance de leur propre richesse les remplissait d’autant de joie qu’Adam et Eve le furent de confusion quand ils connurent qu’ils étaient nus. Alors il reprenait le premier article du Credo ; et tous avec lui suppliaient Jésus et la Vierge de leur faire la grâce d’y croire ; et ainsi des douze articles. Puis il reprenait le premier commandement ; et tous avec lui suppliaient Jésus et Marie de leur faire la grâce de pouvoir l’observer ; et ainsi des dix commandemens. Méthode admirable par sa simplicité et sa patience, et parce qu’elle convenait à l’humeur des Orientaux, si sensibles au charme des litanies.

Ce n’était qu’une partie de sa tâche. Les prières terminées, on l’interrogeait ; on ne se lassait point de lui poser des questions, les mêmes dont on fatigue encore le missionnaire, car les hommes se transmettent leur ignorance et leurs curiosités. Votre pays est-il bien éloigné ? Avez-vous vu le Pape ?