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à cause des requins, procurait à beaucoup d’entre eux l’aisance. à quelques-uns la richesse. Sans doute partageaient-ils les privilèges de tous les pêcheurs qui pouvaient donner de l’eau à des gens d’une caste plus élevée, leur pétrir du pain, et goûter aux alimens interdits sans en garder la souillure. Ils avaient le droit de boire de l’arack et du toddy ou jus de palmier ; et ils ne s’en privaient point ; leurs femmes non plus. Ils étaient éparpillés sur vingt à trente lieues de côtes en face des rivages de Ceylan, mêlés aux autres castes, mais sous l’autorité d’un roi qui résidait dans une paillote de Tuticorin et de qui dépendaient les chefs de leurs villages. En 1838, ce Roi, dont la royauté avait survécu à des dynasties plus puissantes, portait comme un manteau à traîne le nom de Don Gaspar Antonio da Cruzvas Gorreyo. A l’époque de François, on n’était pas encore si Portugais chez les Paravers ; mais on y était prévenu en faveur des Portugais. Et l’on y avait de toute éternité les défauts des Hindous : l’amour du mensonge, la ruse, la couardise et la vanité, une vanité qui se communique de caste en caste comme l’eau, dont on lave les dalles sacrées du temple, tombe de marche en marche jusqu’au bas de l’escalier.

La côte de la Pêcherie est basse, sablonneuse, hérissée de cocotiers, mortellement chaude, même quand la mousson du Nord-Est descend du golfe de Bengale et l’arrose de ses ondées. Un pays implacable ! Le touriste en supporte un instant l’inhospitalité par égard pour l’exotisme. Il s’assied au pied d’un arbre. Là-bas, derrière des palmiers en éventail, quelques paillotes soulèvent leurs murs de terre. Devant une porte, un homme nu se verse sur la tête l’eau d’un vase de cuivre qu’un rais de soleil fait resplendir. Des colporteurs se hâtent d’un pas rythmique, leurs deux paniers en balance. Des vieillards à barbe grise, le torse nu, cheminent, enveloppés jusqu’au-dessous du genou d’une étoffe jaune, blanche ou rose. La barbe grise convient à ces visages d’une couleur de pain d’épices : elle ne les vieillit point ; elle les éclaircit et atténue l’expression un peu farouche que leur donne le blanc trop vif de l’œil autour des prunelles sombres. Parfois un maigre mendiant s’avance en haillons comme un spectre de famine recouvert de toiles d’araignées. Les enfans entièrement nus jouent sur l’herbe courte avec une souplesse féline. Les petites filles ont souvent la grâce des statuettes de bronze. Mais les femmes, en général