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pressentiment de ce naufrage : j’y verrais plutôt la hantise qu’il avait gardée des horreurs de sa première traversée.

La flotte, retardée par les calmes équatoriaux, n’avait touché Mozambique qu’en septembre 1541 ; et les vents contraires l’y retinrent six mois. Les Portugais s’étaient répandus sur cette île d’Arabes et de Cafres, où le Portugal avait élevé une forteresse. François élut domicile à l’hôpital. Il y fut pris d’une fièvre contagieuse, qui lui causa de violens délires. On remarqua qu’au plus fort de ses divagations, il retrouvait sa lucidité, dès qu’on lui parlait de choses spirituelles. Les cimes pures continuent de réfléchir le soleil au-dessus de l’exhalaison des marécages. Quand il se rétablit, il ne quitta point l’hôpital : c’était là qu’on respirait le moins de miasmes. Deux petits vaisseaux étaient arrivés des Indes sous la conduite d’un certain Suarez de Mello, surnommé le Gallego. Cet homme s’était enfui de Goa, où il avait encouru une condamnation à mort, et venait offrir à Alphonse de Sousa, moyennant sa grâce, des révélations sensationnelles contre le Vice-Roi dont les pouvoirs allaient expirer, Étienne de Gama, un des plus honnêtes gouverneurs qu’ait eus l’Asie portugaise. Le plaisir d’un vice-roi, en prenant son poste, n’eût pas été complet s’il n’avait perdu de réputation son prédécesseur. Le pirate obtint sa grâce ; et l’on commença à machiner un réquisitoire contre celui qui représentait encore dans l’Inde l’autorité royale. François n’avait point à s’immiscer dans des affaires qui ne regardaient pas l’Église. Mais quels dangers pour la propagande catholique de lier partie avec un gouvernement déjà si corrompu ! Hélas ! on était embarqué. Il essaya du moins de ne pas se trouver mêlé au conflit possible entre les deux vice-rois ; et il manifesta le désir de demeurer à l’hôpital de Mozambique, un vrai cimetière. Sousa ne le lui permit pas. Mansilhas et Micer Paul restèrent près des malades ; et François suivit le Vice-Roi, qui, monté sur un navire que Gama avait envoyé aux nouvelles, leva l’ancre, accompagné de son pirate.

Après une escale de quelques jours au port de Mélinde, où, un passager étant mort à point, les Portugais lui firent des funérailles destinées à frapper d’admiration les Infidèles, on atteignit l’ile de Sokotora. Cette île, riche en aloès et en encens, avait une renommée analogue à celle des Phéaciens d’Homère. Marco Polo en considérait les habitans comme les plus habiles