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VISITES AU FRONT.

et, dans le petit village tranquille, les canons français veillaient. Tout à coup, pendant que nous étions là, ils parlèrent. À ce moment même, nous entendîmes ce bruit d’un aéroplane, ce ronflement auquel on ne saurait se tromper, et nous vîmes, bien haut dans le ciel, un point noir. La mitrailleuse perchée sur la colline se fit aussi entendre. Les hommes quittèrent leur dîner pour essayer de voir le taube à travers les arbres ; et l’oiseau de malheur, se voyant signalé, fit demi-tour et disparut derrière les nuages.

17 mai.

Aujourd’hui, nous partîmes animés d’un réel esprit d’aventure.

On nous avait toujours dit, à l’avance, ce que nous pourrions voir, et jusqu’où l’on nous permettrait d’aller ; cette fois-ci, nous nous lancions dans l’inconnu. Arrivés à un certain point, nous nous savions absolument entre les mains d’un colonel de chasseurs à pied : notre destinée dépendait de son bon vouloir. Il fallut faire beaucoup de chemin pour le rejoindre dans les replis des montagnes du Sud-Est.

Accompagnée d’un officier d’état-major, nous longeâmes une ruine féodale sur une colline ; puis, en suivant une vallée étroite bordée de falaises boisées, nous arrivâmes à l’endroit où était établi le colonel de la brigade. Après un court colloque entre le colonel et notre officier d’état-major, on nous adjoignit un capitaine de chasseurs et nous repartîmes. Notre route traversait une ville si exposée que notre compagnon du quartier général suggéra qu’il serait peut-être sage de l’éviter ; mais notre guide ne voulut pas nous imposer une telle déception. « Oh ! dit-il avec bonhomie, l’auto ne s’arrêtera pas. Nous ne ferons que traverser la ville au plus vite. »

Oh ! la pauvre ville ! quand nous y arrivâmes, par une route labourée d’obus tout récemment tombés, je n’eus aucune envie de m’arrêter. Je n’avais qu’un désir : partir et effacer ce souvenir de ma mémoire… Ce qui était particulièrement douloureux, c’est que cette ville n’était pas tout à fait morte : au milieu de son agonie, il lui restait une faible lueur de vie. Quelques enfans jouaient dans ses rues dévastées, sous la surveillance de leurs mères, qui les guettaient par les portes de leurs caves.

Nous nous élevâmes de plus en plus dans les montagnes,