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VISITES AU FRONT.

des bureaux à grand renfort de cloisons. On nous fit asseoir dans un de ces bureaux de fortune, sur un vieux canapé de damas éraillé. Au mur, des affiches de théâtres, et en face, un lit avec une courtepointe de soie prune. Tout en attendant, nous entendions la sonnerie du téléphone, le bruit sec d’une machine à écrire, le son d’une voix dictant des lettres, au milieu d’un va-et-vient d’estafettes et d’ordonnances.

La prolongation nous fut enfin accordée, mais on nous pria de gagner au plus tôt Verdun, la route, ce jour-là, n’étant pas ouverte aux automobiles particuliers. Cet avis, aussi bien que l’activité qui régnait au Quartier Général, nous donna à penser qu’il devait se passer quelque affaire d’importance derrière la ligne des collines bordant la route au Nord. Nous devions bientôt savoir de quoi il s’agissait.

Nous quittâmes Sainte-Menehould vers onze heures, pour arriver avant midi à un village situé sur une hauteur qui dominait tout le pays d’alentour. L’aspect des premières maisons n’avait rien d’anormal ; mais bientôt la grande rue, après une descente, déboucha brusquement sur une longue perspective de ruines désolées, restes calcinés de ce qui fut Clermont-en-Argonne. La situation pittoresque de ce petit bourg, au sommet d’une colline, fait paraître plus lamentable encore l’aspect de ses ruines. Il domine tout le pays ; et, à travers les arceaux de son église saccagée, on découvre un si riant paysage !

À l’autre extrémité de ce qui fut la grande rue s’élève encore un petit groupe de maisons dominé par l’hospice de vieillards. Sœur Gabrielle, qui le dirige, n’a pas quitté ses pensionnaires au moment de la grande panique qui a mis en fuite toutes les autorités de Clermont. Depuis lors, elle a recueilli et soigné les blessés qui ne cessent de lui arriver du front voisin. Nous la trouvâmes en train de préparer, avec ses religieuses, le déjeuner des malades dans la petite cuisine de l’hospice, — cuisine qui lui sert en même temps de salle à manger et de cabinet de travail. Elle insista pour nous offrir une part de la « popote » de l’hospice, et nous raconta, pendant que nous déjeunions, l’histoire de l’invasion : les soldats allemands enfonçant les portes à coups de crosse, et les officiers faisant irruption, revolver au poing, dans le grand vestibule voûté où elle se tenait parmi ses vieillards et ses religieuses.

Sœur Gabrielle est petite, plutôt forte, et pleine d’activité.