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VISITES AU FRONT


I. — EN ARGONNE

Mars 1915.

Grâce à une permission de visiter quelques ambulances et hôpitaux d’évacuation, j’eus, à la fin de février 1915, ma première impression directe de la guerre.

À ce moment-là, Paris n’était déjà plus compris dans la zone militaire, ni en réalité ni en apparence. Certes, le nuage de guerre pesait encore sur la ville, mais elle était animée d’une telle activité, d’une confiance si réconfortante, que la menace cachée derrière ce sombre nuage semblait bien lointaine, — lointaine par la distance autant que par le temps. Maintenant encore, à quelques kilomètres des portes, on est frappé de passer brusquement de cette atmosphère de sécurité et de travail paisible dans une région où la guerre apparaît dans toute sa réalité.

En allant vers l’Est, on commence à s’apercevoir de ce changement tout de suite après Meaux. Entre cette tranquille cité épiscopale et la colline où s’élève Montmirail, la grande lutte du mois de septembre n’a guère laissé de traces, sauf, de loin en loin, au milieu des champs abandonnés ou fraîchement labourés, un petit monticule surmonté d’une croix avec une couronne desséchée. Pourtant, on a déjà le sentiment qu’on est dans un autre monde. En ce jour glacé de février, quand nous quittâmes Meaux pour prendre la route de l’Argonne, cette impression nous vint surtout de l’étrange absence de vie dans les villages que nous traversions. Parfois, sur le ciel d’hiver, on voyait la silhouette d’un laboureur avec sa charrue, ou bien