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élargis, diplomatiques et militaires, politiques et économiques, auraient lieu périodiquement, et que l’Italie y participerait, avec la France, l’Angleterre et la Russie. Déjà l’Entente se resserre, comme c’est la loi de toute confédération ou seulement de toute alliance, et la guerre démontre à nouveau sa rude vertu unificatrice. D’autre part, l’Italie, par une coïncidence trop exacte pour n’avoir pas été ménagée, fermait définitivement sa frontière au commerce allemand, — puisqu’en dépit du paradoxe, quoiqu’elle ait déclaré la guerre à tous les alliés de l’Allemagne, l’Allemagne ne lui a pas déclaré la guerre, — tandis que la frontière française s’ouvrait, toute barrière abaissée, à la main-d’œuvre italienne. Très sagement, avec cette espèce d’intelligence tactile dont il a souvent, dans le passé, donné des marques si intéressantes, M. Aristide Briand s’est gardé d’aller au delà . Il a senti, il a compris que l’Italie, plus qu’émancipée, majeure, maîtresse de ses décisions et de ses destinées, n’avait pas besoin et ne souffrirait pas d’être invitée à faire ou à ne pas faire ; que, comme, au mois de mai 1915, elle a choisi librement sa place, elle veut remplir librement son devoir. Réintroduite l’une des dernières dans l’assemblée des grandes Puissances, il lui serait intolérable que l’on prît, envers elle, des façons de tuteur ou seulement de sœur aînée, car personne n’est son aîné, et elle se souvient d’avoir été la mère et la reine de l’Europe. C’est un des traits profonds de son caractère national, au point d’être chez elle une manière de fierté ou de pudeur même, de détester les prépotences, les injonctions et les protections, les prepotenze, les sopraffazioni. Le discours de Cavour à la Chambre piémontaise, du 6 février 1855, est, à cet égard, une leçon. Au moment d’engager son pays en Crimée, aux côtés de la France et de d’Angleterre, il consacre trois pages à établir que le royaume de Sardaigne n’a subi aucune pression, sous la forme même la plus amicale. Lui, Cavour, il ne touche à ces nerfs et à ce cerveau, qui sont les siens, qu’avec une extrême délicatesse : il y met mille précautions. A combien plus forte raison, un homme d’État étranger ! Mais ce qui rend l’abstention facile, c’est qu’il n’y a en réalité rien à faire que de laisser faire l’Italie. Voilà quatre ou cinq siècles qu’elle guette l’occasion, et qu’elle attend l’appel de la nécessité. On peut être tranquille. L’Italie réaliste ne laissera pas s’enfuir l’instant que l’Italie idéaliste a annoncé.


A peine M. le président du Conseil était-il rentré, que les ministres de France, d’Angleterre et de Russie accomplissaient au Havre, auprès du gouvernement belge, une démarche hautement significative. Ils