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citoyen de l’univers, comme un philosophe détaché, comme un spectateur libre, et que la curiosité tire de son indifférence pour choisir et parier. Ce n’est pas cela. Patriote suisse et vaudois, il n’examine le problème ni en partisan ni en pur idéologue. Il note les faits, je le disais ; et il les interprète au moyen de sa raison suisse et vaudoise. Il n’est point un amateur, mais un neutre qui se décide sans négliger, plus que les règles de la conscience humaine, l’utile volonté de sa patrie.

On n’est pas moins cosmopolite, et l’on ne se confine pas dans son canton plus jalousement que M. Benjamin Vallotton. L’un de ses volumes, un bien léger petit volume, raconte un voyage qu’il a fait en Orient. Mais il est rentré chez lui et s’y est enfermé comme si toute son erreur ne lui avait appris seulement qu’à demeurer. Potterat, son héros, qui habitait une maisonnette auprès du lac, tranquille maisonnette avec un jardin, des légumes, des animaux, déménage et, à contre-cœur, se loge dans un appartement au quatrième étage d’un immeuble, à Lausanne. C’est le remous, le tourbillon, dit-il ; et il se plaint : « Quand on est seul dans ses murs, on abonde dans son sens ! » Pour abonder dans son sens, M. Benjamin Vallotton s’est réfugié dans ses murs, dans ses montagnes, comme naguère Potterat, comme aussi le charmant Töpfler autrefois. Tous ses romans sont du pays vaudois, tous ses paysages, tous ses personnages. Il ne cherche pas, romancier, les aventures ; voire, il les redouterait : plutôt, il sait qu’il n’est pas d’aventure plus touchante, plus capable de nous émouvoir, de nous étonner même, que l’aventure, en apparence anodine, d’un pauvre homme dans son coin. Il ne cherche pas les singularités et les complications de l’âme ; mais il les trouve, car la vie retirée et morne des humbles gens qu’il observe est celle qui développe le mieux les particularités du caractère et qui préserve ses bizarreries. Il ne cherche pas les grandes idées et ne montre aucune ambition de composer un système du monde qu’on dût approuver jusque dans les étoiles ; mais il s’aperçoit que toutes les idées humaines se résument dans une existence patiente et quotidienne, hormis celles qui ne sont que mensonge ou vain bavardage. Telle est, en peu de mots, la sagesse de M. Benjamin Vallotton... Si nous visitons les célèbres galeries de peinture, je crois que nous sommes bientôt las de la Renaissance épanouie et de ses abondantes réussites. Soudain nous enchante un peintre moins habile et qui, avant le déploiement de l’art le plus magnifique, ou seul, loin de Rome et de Venise et de Florence, loin des maîtres qui enseignaient la perfection comme un absolu, peignit