Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/190

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reverra heureusement plus, nécessitèrent parfois des efforts inouïs de la part du personnel des stations-magasins. Une retraite est toujours un moment terrible pour l’intendance ; il devient extrêmement difficile d’assurer à l’avant le ravitaillement régulier des troupes, qui ne peuvent même pas toujours savoir le point précis où s’arrêtera le mouvement de recul ; et, si la retraite prend de fortes proportions, les services de l’arrière peuvent se trouver eux-mêmes gravement éprouvés. C’est ainsi que, bien qu’on ait évité de placer les stations-magasins trop près de l’ennemi, lors de la marche foudroyante des Allemands en août, plusieurs se trouvèrent dans la zone occupée ou sur le point d’y tomber.

Or, avec leurs immenses approvisionnemens, l’évacuation des stations-magasins ne peut se faire en vingt-quatre ni même en quarante-huit heures, sans compter qu’il faut pour l’effectuer des dizaines de trains, qu’on ne peut, surtout dans de tels momens, réunir instantanément sur un même point. Sous aucun prétexte cependant on ne peut laisser l’ennemi s’emparer de semblables approvisionnemens. D’un autre côté, la destruction de ces milliers de tonnes de denrées coûteuses ne doit être décidée qu’à la dernière extrémité. Il ne reste donc qu’une solution admissible, c’est l’évacuation ordonnée au dernier moment, mais en temps utile cependant. Aussi, dans les derniers jours qui ont précédé immédiatement la bataille de la Marne, et pendant cette bataille même, certaines stations-magasins menacées ont-elles travaillé jour et nuit à leur évacuation. On a pu la regretter après la victoire, mais la prudence paraissait alors l’imposer : la meilleure preuve en est que, dans certaines d’entre elles, les derniers départs s’effectuèrent sous les obus ennemis qui commençaient à pleuvoir sur la gare. Dans l’une d’elles, la réserve d’essence chargée sur un bateau que des formalités administratives, — en temps de guerre ! — empêchèrent de partir à temps, fut atteinte par un obus et prit feu tout entière. Et cependant, pour permettre d’achever l’évacuation, le « service de garde » que la compagnie spéciale d’infanterie était chargée d’assurer consista, le dernier jour, à arrêter pendant seize heures, avec les fusils de ses 240 territoriaux, la poussée des forces allemandes qui arrivaient avec des mitrailleuses et des canons.

Pendant cette angoissante période, ç’a été dans les stations-magasins