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cultures de roses qui sont l’orgueil traditionnel du royaume. Ce fut pour tous ces ruraux un bonheur et un réconfort que de reprendre leur vie au grand air, d’échapper à l’oppression des murailles et des palissades, de piocher et de fouir au printemps dans les enclos fleuris. Au mois d’avril, on répartit même chez les fermiers d’alentour les plus capables et les plus dociles pour aider aux travaux des champs. Les postulans étaient nombreux à solliciter une faveur qui leur donnait l’illusion d’une liberté relative.

En somme, et toutes réserves faites sur le but réel poursuivi par les Allemands, le travail fut une distraction pour les prisonniers, en même temps qu’une diversion salutaire aux angoisses et aux humiliations de la vie quotidienne. Ils pensaient moins à leurs misères, le temps passait plus vite et, la fatigue aidant, ils dormaient mieux, la nuit venue, sur leur litière de paille.

Les infirmiers avaient toujours joui, grâce au docteur B..., d’un traitement privilégié. Nous touchions même une solde, 5 marks 80 pfennig (7 fr. 25) tous les dix jours, et, à partir de janvier, on nous attribua l’ordinaire du soldat allemand, de sorte que nous étions à peu près nourris et beaucoup moins à plaindre sous ce rapport que nos autres camarades.

En dehors de nos obligations à l’égard des blessés et des malades, nous fûmes à cette époque et jusqu’à la fin du printemps très pris par une besogne nouvelle : la vaccination préventive contre le typhus et le choléra.

Une épidémie venait de se déclarer à F..., dont les progrès parurent bientôt redoutables. Des ordres sévères arrivèrent de Berlin, enjoignant de prémunir contre elle tous les prisonniers sans exception. Chacun d’eux devait recevoir trois coups de lancette sur la poitrine ou sur les bras. En deux mois, sous la surveillance des majors, nous fîmes ainsi plus de vingt mille piqûres assez douloureuses et qui provoquaient une forte fièvre.

Les Français, habitués à être vaccinés au régiment, ne se révoltèrent pas trop contre cette nécessité ; il en allait autrement des Russes dans leur méconnaissance absolue des procédés d’hygiène les plus élémentaires. La plupart répugnaient à une contrainte qui terrifiait leur ignorance. Persuadés qu’on voulait leur inoculer du poison, ils cherchaient à se dérober par tous les moyens, ce qui nous imposait une police de contrôle des plus pénibles et des plus malaisées.