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de chanter, même de parler à voix haute. Par un raffinement de barbarie, il imagina encore de nous parquer comme des animaux. Sur son ordre, on tendit des fils de fer barbelés autour des écuries, ne laissant entre eux qu’un faible espace libre. Nous pouvions nous promener, nous apercevoir de loin, mais il était impossible de communiquer, de causer entre soi. A l’arsenal des punitions que j’ai énumérées, il en ajouta une supplémentaire et non la moins redoutée : le poteau de discipline.

Celui qu’elle frappait, sous le prétexte le plus futile, se voyait attaché plusieurs heures à un pieu, les mains liées derrière le dos. En hiver, cette immobilité forcée, sous les morsures du froid, était déjà terrible : elle devenait peut-être plus odieuse encore en été. La vermine qui nous dévorait transformait alors en véritable supplice chinois un châtiment d’apparence anodin. J’ai vu des hommes vigoureux sangloter sous les piqûres immondes, se tordre en des attaques de nerfs. Leur martyre grotesque était à ce point effroyable que les sentinelles elles-mêmes, saisies de compassion, venaient leur gratter le corps avec la crosse de leurs fusils.

Le soir venu, on nous verrouillait dans les écuries où nous nous trouvions si fort entassés qu’il fallait, faute d’espace pour se retourner, dormir une nuit couché sur le côté droit et la suivante sur le côté gauche. On peut aisément supposer l’odeur infecte et répugnante qui s’exhalait de cette étable humaine.

De jour en jour aussi, déclinait notre santé épuisée dans cet enfer par les privations et s’avilissait notre dignité d’homme si atrocement soumise à ce hard labour moral. Des murs, des palissades, des grilles, des armes sans cesse braquées sur nous, tel était notre horizon ; des menaces, des insultes, des voies de fait, notre réconfort et notre soutien. Il se produisit des cas de folie soudaine, de délire hypocondriaque ou furieux. L’infirmerie ne désemplissait plus. Chaque nuit, nous devions transporter sur des civières, au lazaret, des malheureux en démence. Le docteur B.... s’indignait, protestait, mais le colonel demeurait inflexible.

Dans ces affreuses conjonctures, survint par bonheur un événement qui nous rendit un peu de courage, nous apporta quelque consolation.

Le capitaine von P... nous rendait de fréquentes visites ; il nous annonça, vers la mi-novembre, une nouvelle accueillie par des transports de joie ;